Principes et organisation de la Société révolutionnaire internationale
Au début du mois prochain paraîtra aux Éditions du Chat Ivre un volume réunissant deux textes de Bakounine : le Catéchisme révolutionnaire, dont il a déjà été question à plusieurs reprises sur ce blog, notamment à l’occasion de sa réédition (identique par rapport à l’édition par Guérin dans l’anthologie Ni Dieu Ni Maitre) en 2010 par L’Herne, et un texte inédit à ce jour en version papier, qui décrit l’organisation de la société secrète révolutionnaire que Bakounine cherchait à mettre en place à cette époque (1866). Comme pour la Confession quelques mois auparavant, je me suis occupé de corriger la transcription du texte, d’y ajouter des notes et d’en proposer une présentation. Le travail a toutefois été d’une nature et d’une ampleur tout autres que pour le texte autobiographique de 1851, pour des raisons sur lesquelles je vais revenir.
Si la Confession fut écrite en russe (avec tous les problèmes que cela pose : voir le précédent billet), en revanche les deux textes ici présentés le furent en français. Toutefois, les deux manuscrits qui ont servi de base à l’établissement du texte ne sont pas de la main de Bakounine, mais, pour le premier, de celle de la princesse russe Zoia Obolenskaia (chez qui il résidait à Ischia, dans la baie de Naples), et pour le second, de celle de son amant polonais Walerian Mroczkowski. On peut supposer que ce fut Bakounine qui dicta ces deux textes à ces deux personnes qui faisaient alors partie de son entourage immédiat. Les deux textes ont été transcrits par l’Institut International d’Histoire Sociale d’Amsterdam, et publiés sur le CD-ROM des Œuvres complètes de Bakounine. Malheureusement, cette transcription comporte un nombre ahurissant d’erreurs et de coquilles, au point qu’on se demande parfois si ce n’est pas un foutu robot qui s’en est occupé, tant cela défie le bon sens (« capabilité » au lieu de « culpabilité », « sous les corps » au lieu de « sous les coups », « avant à sa charge » au lieu de « ayant à sa charge », etc. etc.). En fait, tout se passe comme si le transcripteur, ayant le choix entre deux transcriptions possibles, avait systématiquement opté pour celle qui n’avait aucun sens. Fort heureusement, le CD-ROM de l’IISG fournit également un scan du manuscrit (ou plus exactement de son microfilm, écrit en blanc sur fond noir, donc), qui permet dans bien des cas de rétablir la version d’origine. Dans de très rares cas, cela n’a pas été possible, non en raison d’erreurs de transcription, mais ou bien parce que le texte n’était pas lisible, ou bien parce qu’il était nécessaire de le corriger (le plus souvent orthographiquement).
J’ai proposé pour ce texte une présentation beaucoup plus longue que pour la Confession parce qu’il m’a semblé les deux textes présentés le réclamaient. Si le Catéchisme est l’un des textes les plus célèbres de Bakounine (disons, après Dieu et l’État, qui est en fait une compilation posthume, et peut-être Étatisme et anarchie), il a rarement été étudié de près (si ce n’est par les deux geeks bakouniniens que nous sommes, René Berthier et moi). Surtout on l’a rarement lu en le replaçant dans l’itinéraire intellectuel et politique de Bakounine. Une longue partie de ma présentation est donc consacrée à montrer que ce texte présente un état intermédiaire de la pensée du révolutionnaire russe – ce que j’ai appelé son premier anarchisme, celui qui précède sa (re)découverte du mouvement ouvrier et son entrée dans l’Internationale (1868). D’autre part, aucune édition de ce texte jusqu’alors n’avait tenu compte du fait qu’il était jumelé avec un autre texte, décrivant l’organisation révolutionnaire souhaitée par Bakounine, organisation dont le Catéchisme constituait le programme. Cela a conduit à déformer l’image que nous avons de ce texte, qui était destiné à être le programme d’une organisation. Mais surtout, cela a conduit à minorer, voire à passer sous silence, la réflexion poussée que mène Bakounine sur la question de l’organisation. J’ai essayé, dans ma présentation, de rendre compte des silences et des débats qui ont entouré cette dernière question, mais aussi de l’évolution de Bakounine (dont rend bien compte sa longue lettre de rupture avec Netchaïev de juin 1870), et des inévitables ambiguïtés que comportait le goût de Mikhaïl Alexandrovitch pour les organisations secrètes.
En somme, lorsque ce livre paraîtra, celles et ceux qui s’intéressent à Bakounine, et plus largement à l’histoire du mouvement révolutionnaire au XIXe siècle et à ce qu’elle peut nous apprendre aujourd’hui, auront à disposition un document (que je pense) fiable, avec quelques pistes de réflexion pour en approfondir la lecture.