Archive pour la catégorie ‘Biographie’
Zoé Obolenskaïa, « la princesse de Bakounine »
En décembre dernier, le père Noël (encore un barbu) a glissé sous le sapin le livre de Lorenza Foschini, La Princesse de Bakounine (originellement intitulé en italien Zoé, la principessa che incantó Bakunin, soit Zoé, la princesse qui enchanta Bakounine), publié aux éditions Quai Voltaire en 2017 dans une traduction de Karine Degliame-O’Keeffe (l’original avait paru en 2016). Il s’agit d’un ouvrage consacré à la princesse Zoé (Zoïa en russe) Obolenskaïa, et pour une grande part à ses relations avec Michel Bakounine – je remarque en passant que l’autrice fait tout le contraire de moi : j’avais coutume d’appeler Obolenskaïa Zoïa, et Bakounine Michel, elle en revanche opte respectivement pour Zoé et Mikhaïl, ce qui est tout aussi peu cohérent. Ici, je ferai donc le choix de la version francisée, essentiellement pour cette raison que ces deux aristocrates russes, nourris à la culture française, s’appelaient eux-mêmes de cette manière (et accessoirement parce qu’il s’agit d’une tradition de traduire en français les prénoms russes: Alexis pour Alexei, Paul pour Pavel, Barbara pour Varvara, etc.).
Dans ce billet, je rappellerai d’abord qui est Zoé Obolenskaïa (dont il semble qu’elle inspira à Tolstoï le personnage d’Anna Karénine et à Henry James celui de la princesse Casamassima) et ce que furent ses rapports avec Bakounine (et au passage ce que j’en ai appris à la lecture du livre), avant de m’intéresser plus particulièrement aux passages qui sont consacrés au révolutionnaire russe. Je précise toutefois pour commencer que je ne connais par l’autrice de ce livre, dont je sais simplement qu’elle a travaillé, en tant que journaliste, pour la radio et la télévision publiques italiennes et qu’elle a publié, depuis la fin des années 1990, un certain nombre de travaux consacrés à Proust. Lire la suite de cette entrée »
Un témoignage sur les derniers mois de Bakounine
Marianne Enckell, du CIRA de Lausanne, que je remercie chaleureusement, a récemment attiré mon attention sur un témoignage personnel à propos des derniers mois de Bakounine à Lugano. Il s’agit d’une dizaine de pages (p. 107-117) dans le livre de souvenirs de Léon Weber-Bauler (1870-1956), De Russie en Occident. Échos d’une vie, qui fut publié en Angleterre en 1940 et en France en 1943. L’auteur est un médecin français d’origine russe (qui fut aussi l’époux et le père des enfants de la peintre russe Maria Iakountchikova), dont la mère, militante nihiliste au début des années 1870, est venue en Suisse et y a fait la connaissance de Michel Bakounine. C’est moins de l’activité militante de ce dernier qu’il est question dans ce chapitre que de «Papa Bakounine», donc du rapport de Bakounine à ses enfants Carlo, Sofia et Maroussia (nés respectivement en 1868, 1870 et 1873 et dont le père biologique, comme ce fut déjà signalé sur ce blog, n’était autre que Carlo Gambuzzi, avocat napolitain et militant libertaire).
Je ne retranscris pas l’intégralité du chapitre intitulé «Bakounine», mais seulement les cinq dernières pages, où apparaît effectivement le révolutionnaire russe. Ce qui précède cette fin de chapitre raconte comment la mère du narrateur est arrivée en Italie et en est venue à faire la connaissance de Bakounine. Par-delà les approximations et reconstitutions (j’en énumère quelques-unes à la fin de ce billet), cet amusant témoignage donne une assez bonne idée de Bakounine comme parent et (non-)éducateur! Lire la suite de cette entrée »
Autoportrait d’un révolutionnaire en déroute (à propos de la Confession)
Plus de cinq années après la réédition de la Confession de Bakounine aux éditions du Passager Clandestin (que je salue ici, et auxquelles je souhaite longue vie), je donne le texte de la préface que j’avais écrite pour l’occasion.
Et quitte à donner dans l’auto-promotion éhontée, je rappelle que cette édition de la Confession est la plus fiable disponible sur le marché, notamment parce que nous avons corrigé quantité de patronymes qui avaient souffert de leur passage du latin au cyrillique, puis du cyrillique au latin, et parce que nous avons ajouté des notes pour chacun des personnages que mentionne Bakounine dans le texte. Bonne lecture! Lire la suite de cette entrée »
Bakounine dans la correspondance d’Arnold Ruge
Il vaut la peine d’éplucher la correspondance d’Arnold Ruge (1802-1880), figure centrale de la gauche hégélienne puis du jeune hégélianisme, et plus largement du Vormärz (cette période qui, en Allemagne, précède la révolution de 1848, laquelle commença là-bas en mars), à la recherche des mentions de Bakounine. C’est d’abord que Ruge tient une place cruciale dans l’itinéraire du révolutionnaire russe. Sa revue, les Deutsche Jahrbücher für Wissenschaft und Kunst (Annales allemandes pour la science et l’art), organe philosophique du jeune hégélianisme, qui avait pris le relais en 1841 des Hallische Jahrbücher (Annales de Halle), lieu d’expression de la gauche hégélienne, accueillit le premier article révolutionnaire de Bakounine, La Réaction en Allemagne, en octobre 1842. Mais avant cela, c’est sans doute ce même Ruge qui ouvrit à Bakounine, de l’aveu même de ce dernier dans la Confession, tout un continent qu’il ignorait, celui de la critique politique et sociale, et amorça par la même occasion l’éloignement progressif du jeune Russe avec ce qui avait jusqu’alors été son terrain d’activité, la philosophie. Lire la suite de cette entrée »
Amour et mariage chez Bakounine
Une fois n’est pas coutume, je cède le clavier à un autre bakouninien, en l’occurrence Gaetano Manfredonia, pour la version longue d’une contribution qu’il vient de publier par ailleurs dans un volume d’hommages à Ronald Creagh. Deux raisons à cela: je n’aurais pas fait mieux sur la question, et Gaetano me l’a gentiment proposé. Merci donc à lui de venir enrichir ce blog, auquel je tâcherai un jour ou l’autre de revenir moi-même plus assidûment. Cela ne vous dispense évidemment pas d’aller jeter un œil au volume en question, et d’en faire l’acquisition si cela vous tente! La présentation de l’ouvrage est ici, et on peut le commander directement sur le site de l’éditeur (qui est aussi l’hébergeur de ce blog) JCA
Amour et mariage chez Bakounine
Bakounine a toujours occupé une place bien particulière au sein du mouvement anarchiste. Sa célèbre phrase de 1842 sur le « désir de destruction » a été utilisée par ses ennemis déclarés et par certains de ses commentateurs peu scrupuleux pour accréditer la thèse d’un Bakounine « apôtre de la pan-destruction » bien plus attiré par l’action que par la réflexion. Rien de plus erroné pourtant, pour peu que l’on prenne la peine de se pencher avec un minimum de sérieux tant sur son parcours militant que sur ses écrits. Lire la suite de cette entrée »
Bakounine et Wagner
Michel Bakounine et Richard Wagner se sont connus à Dresde en 1849. On connaît les détails des relations entre les deux hommes à travers les mémoires du musicien (Mein Leben), dictés à sa femme Cosima à partir de 1865, et qu’il commença à faire circuler à quelques dizaines d’exemplaires à partir des années 1870 parmi ses amis intimes (Nietzsche participa d’ailleurs à l’impression des premiers tomes). Dans ce texte volumineux (1600 pages), pas moins d’une soixantaine ont à voir avec les événements de Dresde, et donc directement ou indirectement avec Bakounine, qui est l’une des figures dominantes de ce passage (son nom apparaît une trentaine de fois). En revanche, Wagner n’est jamais mentionné dans la Confession de Bakounine, qui relate pourtant sa participation à l’insurrection de Dresde. À qui s’étonnerait de retrouver aux côtés de Bakounine le compositeur allemand, qui n’est pas précisément connu comme un apôtre de la révolution sociale mais plutôt comme un chantre de la germanité (avec un antijudaïsme non dissimulé), on rappellera qu’il fut aussi, dans sa jeunesse, un sympathisant enthousiaste des idées libérales et constitutionnelles agitées lors de la révolution de 1848 en Allemagne et que, comme beaucoup d’autres personnes de sa génération, ne resta de son nationalisme démocratique de jeunesse que le nationalisme… Toutefois, pour en revenir à la rencontre avec Bakounine telle qu’elle est narrée dans Ma vie, on ne doit pas perdre de vue que ces mémoires sont sujets à caution, à plusieurs titres. Lire la suite de cette entrée »
Prisons bakouniniennes (1): la forteresse de Königstein
À l’occasion de vacances en Saxe, j’ai fait un crochet par la forteresse de Königstein, où Bakounine fut emprisonné après l’écrasement de l’insurrection de Dresde en mai 1849. C’est aujourd’hui l’un des sites les plus visités de la région, et lorsqu’on y monte, on comprend vite pourquoi. De là-haut, on dispose d’une vue à 360° sur toute la région: les méandres de l’Elbe, qui passe en contrebas, la Suisse saxonne, l’agglomération de Dresde, les premières montagnes tchèques et les monts métallifères.Pour s’y rendre, il suffit de remonter l’Elbe par le train depuis Dresde en direction de la république tchèque, le village de Königstein se trouve à une petite-demie-heure, et de là, une autre demie-heure permet d’escalader la petite montagne au sommet de laquelle se trouve la forteresse.
Bakounine dans le Maitron des anarchistes
Le 1er mai 2014 est sorti ce que l’on appelle « le Maitron des anarchistes », c’est-à-dire en fait Les Anarchistes. Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone (Paris, éditions de l’Atelier) ouvrage coordonné par Claude Pennetier et pour lequel l’amie Marianne Enckell a joué un rôle important, notamment pour la collecte des biographies.
J’y ai pour ma part apporté ma modeste contribution en rédigeant la notice biographique de Bakounine, notice donc il existe deux versions : une courte pour la publication papier, et une plus longue pour la version électronique. Je donne la version longue telle qu’envoyée aux éditeurs (en corrigeant simplement une ou deux petites choses, mais il est possible qu’il reste quelques erreurs par rapport à la version finalement publiée). Comme c’est une sorte de biographie de Bakounine condensée, et que je n’en avais pas encore posté sur ce blog, je me dis que ça ne peut pas faire de mal.
Et bien évidemment, n’oubliez pas d’acheter le Maitron des anarchistes auprès de votre libraire. En payant auprès d’un indépendant un livre qui a été largement financé par souscription, vous vous éviterez le désagrément d’avoir fourni indirectement à un quelconque oligarque un morceau de son nouveau jacuzzi. Lire la suite de cette entrée »
Bakounine et l’émancipation des femmes
C’est aujourd’hui le 8 mars, qui est une journée de revendication en faveur des droits des femmes, et non pas « la journée de la femme », comme on l’entend dire trop souvent (ce qui permet de passer sous silence qu’il y a une lutte des femmes pour l’égalité des droits et de faire croire que « la » femme existe), et c’est aussi l’occasion de se demander ce que notre ami Bakounine a pu écrire sur la question de l’émancipation des femmes. J’ai trouvé l’illustration de ce billet, attribuée à Virginie Berthemet, à cette adresse (où vous en trouverez d’autres tout aussi réjouissantes).
J’avais été invité il y a quelques années par de jeunes collègues à la première d’un séminaire sur anarchisme et féminisme – séance qui fut malheureusement la seule, malgré son succès – pour évoquer les conceptions respectives de Proudhon et de Bakounine sur la question de la différence et de l’égalité des sexes. Je vais en partie m’appuyer sur la partie de ce travail qui concernait Bakounine, et ne mentionner Proudhon que dans la mesure où cela importe pour comprendre ce que Bakounine écrit à propos des femmes. Mais de fait, on va le voir, cela importe, et une bonne partie de ce que Bakounine écrit à ce propos doit être confronté à ce qu’on trouve chez Proudhon sur ce même sujet. Lire la suite de cette entrée »
Impressions de Priamoukhino (2): les lieux
Il n’y a pas que les colloques, conférences, symposiums et autres congrès, dans la vie, et c’est heureux, et même ces événements ont leurs à-côtés, qui sont souvent tout aussi intéressants, sinon davantage, que le contenu des propos énoncés ex cathedra. Il s’agit des lieux dans lesquels se déroulent ces événements, et des gens que l’on y rencontre. Il est vrai que parfois, les participants à des colloques universitaires ne viennent que pour prononcer leur communication, ne voient pas la ville dans laquelle ils parlent, ni les gens auxquels ils s’adressent, au point qu’on pourrait se demander si une simple retransmission sur écran de leur intervention n’aurait pas suffi. Il est sans doute vrai aussi que parfois, on n’a pas le choix, mais cela n’en est que plus triste. Lire la suite de cette entrée »