Archive pour la catégorie ‘Références’
Guy Debord et Bakounine (2) : Debord et l’édition de Bakounine chez Champ Libre
J’entame le détail de cette série de billets consacrés au rapport de Debord à Bakounine. Pour ma part, j’ai longtemps cru que Debord était pour quelque chose dans la publication d’une partie des écrits et de la correspondance de Bakounine chez Champ Libre, mais c’est que je n’avais pas tout à fait les idées claires en termes de dates – ce qui est davantage le cas après la lecture des volumes de la Correspondance chez Fayard. En effet, ce n’est véritablement qu’à partir de l’automne 1974 que Debord se voit confiée par son propriétaire, le producteur de cinéma Gérard Lebovici, la politique éditoriale de Champ Libre, avec le licenciement de l’équipe réunie autour de Gérard Guégan. Auparavant, Champ Libre avait simplement publié des textes de Debord, et celui-ci s’était intéressé aux autres livres publiés par cet éditeur – éventuellement pour les critiquer vertement : ainsi du recueil de textes de Cœurderoy dont il jugea sévèrement la préface ajoutée par son ancien camarade Raoul Vaneigem. Il est possible que Debord ait joué un rôle dans le choix de tel ou tel texte à traduire – on pense par exemple à La révolution de Landauer ou aux Prolégomènes à l’historiosophie du philosophe polonais August von Cieszkowski (qu’il pensera rééditer en 1980 avec une nouvelle préface insistant sur le rôle historique joué, selon lui, par cette première confrontation avec la pensée hégélienne).
Toujours est-il que parmi les livres publiés par Champ Libre qui ont d’emblée intéressé Debord, il y a les premiers volumes des Œuvres complètes de Bakounine. Lire la suite de cette entrée »
Guy Debord et Bakounine (1) : état des lieux du problème
Je commence une série de billets consacrés aux rapports entre Debord et Bakounine. J’ai été amené à revenir à cette question en préparant récemment un article sur les rapports de Guy Debord à l’anarchisme (à paraître dans un prochain dossier coordonné par Bertrand Cochard sur «Debord et la politique» dans la Revue Française d’Histoire des Idées Politiques). J’avais déjà un peu écrit à ce propos, mais sous un angle différent, lorsque j’avais eu, il y a une dizaine d’années, à aborder le rapport que les situationnistes entretenaient avec le marxisme et l’anarchisme, vus comme les deux courants principaux du mouvement ouvrier révolutionnaire (contribution au livre Libertarian Socialism. Politics in Black and Red, Palgrave Macmillan, 2012 et PM Press, 2017, dont il existe une pré-version en français ici).
Mais par rapport à cet angle d’attaque, le dossier Debord/Bakounine semble plus mince, non seulement parce qu’on ne considère plus qu’un membre du groupe situationniste, mais aussi parce qu’on ne considère plus que la seule figure de Bakounine. Il gagne toutefois en épaisseur en incluant les considérations sur Bakounine, les allusions à Bakounine qu’on trouve sous la plume de Debord au-delà du sabordage de l’Internationale Situationniste en 1972 – et cela non seulement dans ses textes publiés, mais aussi dans sa correspondance, désormais en grande partie éditée. Il me semble que ce dossier peut être divisé en trois volets principaux, qui feront l’objet des trois prochains billets, et qui renvoient à autant de difficultés. Lire la suite de cette entrée »
Zoé Obolenskaïa, « la princesse de Bakounine »
En décembre dernier, le père Noël (encore un barbu) a glissé sous le sapin le livre de Lorenza Foschini, La Princesse de Bakounine (originellement intitulé en italien Zoé, la principessa che incantó Bakunin, soit Zoé, la princesse qui enchanta Bakounine), publié aux éditions Quai Voltaire en 2017 dans une traduction de Karine Degliame-O’Keeffe (l’original avait paru en 2016). Il s’agit d’un ouvrage consacré à la princesse Zoé (Zoïa en russe) Obolenskaïa, et pour une grande part à ses relations avec Michel Bakounine – je remarque en passant que l’autrice fait tout le contraire de moi : j’avais coutume d’appeler Obolenskaïa Zoïa, et Bakounine Michel, elle en revanche opte respectivement pour Zoé et Mikhaïl, ce qui est tout aussi peu cohérent. Ici, je ferai donc le choix de la version francisée, essentiellement pour cette raison que ces deux aristocrates russes, nourris à la culture française, s’appelaient eux-mêmes de cette manière (et accessoirement parce qu’il s’agit d’une tradition de traduire en français les prénoms russes: Alexis pour Alexei, Paul pour Pavel, Barbara pour Varvara, etc.).
Dans ce billet, je rappellerai d’abord qui est Zoé Obolenskaïa (dont il semble qu’elle inspira à Tolstoï le personnage d’Anna Karénine et à Henry James celui de la princesse Casamassima) et ce que furent ses rapports avec Bakounine (et au passage ce que j’en ai appris à la lecture du livre), avant de m’intéresser plus particulièrement aux passages qui sont consacrés au révolutionnaire russe. Je précise toutefois pour commencer que je ne connais par l’autrice de ce livre, dont je sais simplement qu’elle a travaillé, en tant que journaliste, pour la radio et la télévision publiques italiennes et qu’elle a publié, depuis la fin des années 1990, un certain nombre de travaux consacrés à Proust. Lire la suite de cette entrée »
Deux textes de Gustav Landauer sur Bakounine
Voici deux textes de l’anarchiste allemand Gustav Landauer (1870-1919), traduits par mes soins et consacrés à Bakounine. Je les publie en ce 2 mai 2019 à l’occasion du centenaire de l’assassinat de cet auteur par des membres des corps-francs envoyés par le gouvernement de Berlin pour mater les troubles révolutionnaires en Bavière, troubles dans lesquels Landauer avait été impliqué – il fut même pendant quelques jours commissaire à l’éducation de l’éphémère République des Conseils de Bavière. J’en profite pour signaler deux éléments d’actualité à propos de Landauer. D’une part, du 6 au 8 juin, à l’École Normale Supérieure de Lyon se tiendra un colloque international intitulé « Actualité de Gustav Landauer (1870-1919), philosophe et révolutionnaire », organisé par Anatole Lucet et moi-même. On peut trouver le programme ici. D’autre part, au mois d’octobre, paraîtra à La Lenteur notre traduction de l’Appel au socialisme du même Landauer. Lire la suite de cette entrée »
Colifichets bakouniniens (9) : encore un tee-shirt !
La filière italo-russe a encore frappé, et me voici nanti d’un quatrième tee-shirt Bakounine, où la tête de notre grand-père préféré ressort en rouge sur fond noir. Cette fois, l’auteur du méfait n’est autre que Giulio Spiazzi, rencontré il y a quatre ans à Priamoukhino à l’occasion de la conférence internationale pour le bicentenaire de la naissance de Bakounine. Et son messager est à nouveau Misha Tsovma, qui me l’a offert à l’occasion de la nouvelle année.
Un grand merci aux deux!
Pour les inscriptions: on trouve le prénom et le nom de Bakounine en alphabet cyrillique, avec ses dates de naissance et de décès, ainsi que la mention : « LiberAutonomia », dont une rapide recherche vous apprendra que cela désigne quelque chose qui se passe à Vérone, en Vénitie – mais qui était surtout le nom du site Internet de Giulio, consacré à des expériences de pédagogie libertaire, site qui ne semble plus exister aujourd’hui.
Camus et Bakounine
J’ai eu récemment à rendre compte, pour le numéro 859 (2018/12) de la revue Critique (qui sort en librairie aujourd’hui même) de la réédition d’un livre qui avait initialement paru chez les défuntes Éditions Égrégore sous le titre Camus et les libertaires, et qui s’intitule désormais Écrits libertaires, par Albert Camus, et Maurice Joyeux, Louis Lecoin, Gaston Leval, Rirette Maîtrejean, Jean-Paul Samson… (Montpellier, Indigènes Éditions, 2013, et 2016 pour cette nouvelle édition). Il y a peut-être quelque chose de discutable à attribuer principalement à Albert Camus (moyennant, sur la couverture, une plus grande police de caractères) ces « écrits libertaires », rassemblés et présentés par l’anarchiste allemand d’expression française Lou Marin. J’y reviendrai plus loin, dans la mesure où le rapport précis de Camus à Bakounine pourrait permettre d’éclairer plus généralement l’attribution à Camus d’écrits libertaires. Quoi qu’il en soit, ce fut pour moi l’occasion de me (re)plonger dans un aspect de la réception de Bakounine que je n’avais guère eu l’occasion d’évoquer jusqu’alors : celle qu’on trouve chez Albert Camus, notamment dans L’Homme révolté. Et comme ce n’était pas vraiment l’objet de mon papier pour Critique, je vais rendre compte de cet aspect bien délimité du rapport de Camus à l’anarchisme ici − sans exclure que les quelques pages où Camus mentionne Bakounine soient significatives d’un rapport plus général à l’anarchisme. Lire la suite de cette entrée »
Bakounine et la musique : une parution récente
En septembre 2017, la chose m’avait échappé (encore merci Marianne !), a paru un petit livre de Jannis Mallouchos, en allemand, consacré au rapport de Bakounine à la musique. Son titre : Der Gesang der Okeaniden. Michail Bakunin und die Musik (Vienne, Bahoe Books, 2017, 120p., ISBN 978-3-903022-66-9). On pourrait douter qu’il y ait là matière à un livre, mais de fait, en lisant la présentation sur le site de l’éditeur (cf. traduction ci-dessous), il y a en effet bon nombre d’éléments, notamment du côté de la biographie du révolutionnaire russe, qui fut ami avec plusieurs musiciens et dont les conceptions en la matière ont été rapportées par certains d’entre eux. J’ai déjà évoqué sur ce blog la plus célèbre de ces rencontres, avec Richard Wagner à Dresde au printemps 1849 – ce même Wagner qui a livré quelques aperçus sur les goûts musicaux de Michel. Bref, en attendant une éventuelle lecture et recension plus développée de l’ouvrage, voici sa présentation. Lire la suite de cette entrée »
Un témoignage sur les derniers mois de Bakounine
Marianne Enckell, du CIRA de Lausanne, que je remercie chaleureusement, a récemment attiré mon attention sur un témoignage personnel à propos des derniers mois de Bakounine à Lugano. Il s’agit d’une dizaine de pages (p. 107-117) dans le livre de souvenirs de Léon Weber-Bauler (1870-1956), De Russie en Occident. Échos d’une vie, qui fut publié en Angleterre en 1940 et en France en 1943. L’auteur est un médecin français d’origine russe (qui fut aussi l’époux et le père des enfants de la peintre russe Maria Iakountchikova), dont la mère, militante nihiliste au début des années 1870, est venue en Suisse et y a fait la connaissance de Michel Bakounine. C’est moins de l’activité militante de ce dernier qu’il est question dans ce chapitre que de «Papa Bakounine», donc du rapport de Bakounine à ses enfants Carlo, Sofia et Maroussia (nés respectivement en 1868, 1870 et 1873 et dont le père biologique, comme ce fut déjà signalé sur ce blog, n’était autre que Carlo Gambuzzi, avocat napolitain et militant libertaire).
Je ne retranscris pas l’intégralité du chapitre intitulé «Bakounine», mais seulement les cinq dernières pages, où apparaît effectivement le révolutionnaire russe. Ce qui précède cette fin de chapitre raconte comment la mère du narrateur est arrivée en Italie et en est venue à faire la connaissance de Bakounine. Par-delà les approximations et reconstitutions (j’en énumère quelques-unes à la fin de ce billet), cet amusant témoignage donne une assez bonne idée de Bakounine comme parent et (non-)éducateur! Lire la suite de cette entrée »
Une lettre de James Guillaume à Max Nettlau (7 décembre 1903)
Recherchant récemment pour un article la source d’une citation de James Guillaume à propos de Bakounine, j’ai dû aller farfouiller dans les archives de l’historien Max Nettlau, conservées à l’Institut Internationale d’Histoire Sociale d’Amsterdam, et j’ai retrouvé la lettre dont était extraite la citation en question. Comme il me semble que c’est un document intéressant, aussi bien pour les rapports entre Guillaume et Nettlau, pour ce que Guillaume pouvait dire (et peut-être penser) de Bakounine et pour l’histoire de la reconstitution et de la réception de l’œuvre de Bakounine, je la transcris ci-dessous dans son intégralité. Je pense que cela peut intéresser les collègues qui ont entamer une belle recherche sur James Guillaume, dont on peut suivre l’avancée sur leur blog.
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Bakounine dans la correspondance d’Arnold Ruge
Il vaut la peine d’éplucher la correspondance d’Arnold Ruge (1802-1880), figure centrale de la gauche hégélienne puis du jeune hégélianisme, et plus largement du Vormärz (cette période qui, en Allemagne, précède la révolution de 1848, laquelle commença là-bas en mars), à la recherche des mentions de Bakounine. C’est d’abord que Ruge tient une place cruciale dans l’itinéraire du révolutionnaire russe. Sa revue, les Deutsche Jahrbücher für Wissenschaft und Kunst (Annales allemandes pour la science et l’art), organe philosophique du jeune hégélianisme, qui avait pris le relais en 1841 des Hallische Jahrbücher (Annales de Halle), lieu d’expression de la gauche hégélienne, accueillit le premier article révolutionnaire de Bakounine, La Réaction en Allemagne, en octobre 1842. Mais avant cela, c’est sans doute ce même Ruge qui ouvrit à Bakounine, de l’aveu même de ce dernier dans la Confession, tout un continent qu’il ignorait, celui de la critique politique et sociale, et amorça par la même occasion l’éloignement progressif du jeune Russe avec ce qui avait jusqu’alors été son terrain d’activité, la philosophie. Lire la suite de cette entrée »