L’Appel aux Slaves de Bakounine et Engels
Comme annoncé précédemment, je livre ci-dessous le texte de mon intervention à l’EHESS du 9 février dernier dans le cadre du séminaire « Révolutions de XIXe siècle et sciences sociales ». Je reviendrai dans un prochain billet sur les débats qui ont entouré les travaux de Roman Rosdolsky sur Engels et ses rapports aux « peuples sans histoire », notamment en tant que cela refait surgir des débats autour de Bakounine.
Comme pour le billet consacré à mon intervention à l’EHESS, l’image qui illustre celui-ci est tirée de ce site Internet, qui propose une version fac-similé de tous les articles de la Neue Rheinische Zeitung (Nouvelle Gazette Rhénane), le journal édité par Marx et Engels au cours des révolutions de 1848 et qui accueillit, dans ses n°221 et 222 (datés des 14 et 15 février 1849) la polémique d’Engels contre l’Appel aux Slaves de Bakounine.
L’Appel aux Slaves de Bakounine et Engels :
démocratie, socialisme et nationalisme dans les révolutions de 1848
Mon intervention porte sur un épisode qui peut sembler très limité, voire anecdotique, des révolutions de 1848 dont on célèbre cette année les 170 ans. Il s’agit de la polémique qui opposa, au début de l’année 1849, Friedrich Engels et le révolutionnaire russe Michel Bakounine, suite à la publication par ce dernier à l’automne 1848 d’un Appel aux Slaves. Cette polémique me semble néanmoins toucher à quelques points essentiels. Tout d’abord, d’un point de vue historiographique, elle permet de rappeler que les révolutions de 1848 ne furent pas seulement, comme on le croit trop souvent en France, des révolutions à caractère démocratique et socialiste, mais qu’elles eurent aussi une composante nationale – et pas seulement parmi les Allemands et les Italiens. Ensuite, revenir sur cet épisode permet de poser la question de l’attitude de Marx et Engels envers les peuples slaves en particulier, et envers les prétendus « peuples sans histoire » en général. Enfin, cette polémique me semble poser, plus généralement, la question du statut du nationalisme dans les mouvements d’émancipation.
Je vais d’abord mettre en contexte l’Appel aux Slaves de Bakounine en rappelant rapidement l’itinéraire du révolutionnaire russe avant 1848 et en insistant sur ce que fut son activité dans les premiers mois de révolution. Ensuite, je prendrai en considération le processus d’écriture de ce texte, sur la base des manuscrits en français qui ont été conservés, pour souligner les louvoiements de Bakounine au cours de la rédaction de son Appel. En troisième lieu, j’exposerai les termes de la critique d’Engels formulée dans la Nouvelle Gazette Rhénane. Enfin, je discuterai la lecture de l’un des seuls auteurs marxistes à avoir envisagé sérieusement cette question, Roman Rosdolsky dans son livre Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire », dont on fête aussi cette année les 70 ans (bien qu’il ne fût publié qu’en 1964) et dont on trouve désormais une traduction française sur Internet1.
I. Bakounine avant l’Appel aux Slaves
Il faut commencer par rappeler que, bien qu’il soit passé à la postérité comme l’un des fondateurs de l’anarchisme révolutionnaire, notamment en raison du conflit qui se cristallisa autour de son nom et de celui de Marx au sein de l’Association Internationale des Travailleurs, Bakounine était surtout connu, de son vivant, pour le rôle qu’il avait joué dans les révolutions européennes de 1848. Rien d’étonnant à cela si l’on considère les événements auxquels il fut mêlé (notamment les insurrections de Prague et de Dresde), mais aussi le fait qu’il incarne particulièrement bien les différentes dimensions (politique, sociale et nationale) de ces révolutions, ainsi peut-être que les contradictions qui devaient conduire à leur échec.
Rétrospectivement, les révolutions de 1848 apparaissent comme le débouché naturel d’une décennie de contestations croissantes de l’ordre politique, social et national issu du congrès de Vienne, avec l’essor du mouvement démocratique, la genèse du premier socialisme et le réveil des nationalités assujetties aux différents empires européens. Elles furent aussi, pour nombre de révolutionnaires dont Bakounine, le moment qu’ils attendaient et qu’ils annonçaient comme imminent depuis plusieurs années. Cette anticipation, Bakounine l’a d’abord formulée au cours de son bref passage dans le mouvement jeune hégélien : il a rejoint l’Allemagne en 1840, autant pour sortir de sa famille (issue de la petite noblesse terrienne) que pour parfaire sa formation philosophique, et à partir de 1841 il fréquente un certain nombre de membres de ce mouvement naissant (en particulier Arnold Ruge, qui lui fait publier en octobre 1842 son article « La Réaction en Allemagne », sous le pseudonyme français de Jules Elysard). Au-delà de l’intervention qu’il représente dans le petit milieu jeune hégélien, ce texte annonce l’affrontement inévitable entre révolution et réaction et voit dans l’essor des premiers mouvements socialistes en France l’annonce d’un monde nouveau qui est sur le point de surgir de terre. Bien qu’il ait annoncé sa sortie de la philosophie au cours des années 1842-43, les textes de Bakounine, au cours des révolutions de 1848 se ressentent de sa formation hégélienne, qu’il s’agisse de penser le rôle des peuples slaves dans l’histoire universelle ou de traduire l’esprit hégélien dans l’action de l’esprit révolutionnaire.
Après la publication de cet article, Bakounine part en Suisse (où il fait la connaissance du communiste Weitling), puis à Paris au début de l’année 1844. Il y fréquente à la fois les milieux socialistes (Étienne Cabet, Pierre Leroux, Victor Considerant, Louis Blanc, George Sand, et surtout Pierre-Joseph Proudhon, qui restera son ami et avec qui il a de longues discussions sur la philosophie de Hegel), les démocrates et communistes allemands du journal Vorwärts (parmi lesquels Karl Marx, dont il fait la connaissance à cette occasion avant que celui-ci ne soit expulsé vers la Belgique à la demande de la Prusse en février 1845) et les cercles de l’émigration polonaise. Ayant appris qu’il était déchu de ses titres de noblesse et condamné à la déportation en Sibérie, il réagit en publiant dans le journal La Réforme le premier texte par lequel un sujet russe s’en prend au principe même de l’autocratie. En novembre 1847, ayant appelé, lors d’un banquet donné en l’honneur du dix-septième anniversaire de l’insurrection polonaise de 1830, à l’alliance révolutionnaire des peuples russe et polonais contre le tsar, il est expulsé vers la Belgique à la demande de l’ambassade russe à Paris.
C’est à Bruxelles que Bakounine apprend la nouvelle de la Révolution de Février, et il retourne aussitôt à Paris pour s’immerger dans l’ivresse de la capitale en révolution (ce dont témoignera sa Confession en 1851). Passé ce moment d’euphorie, Bakounine se dit que sa place n’est pas à Paris : en tant que Russe, il souhaite une révolution en Russie, et une bonne partie de l’activité qu’il déploie au cours des mois suivants doit se comprendre en fonction de cet objectif principal, et particulièrement de la nécessité de trouver un « point d’appui d’Archimède »2 pour une action révolutionnaire qui touche la Russie.
Pour des raisons stratégiques, politiques et personnelles, c’est la perspective d’une insurrection polonaise qui occupe d’abord Bakounine. Stratégiquement, les Polonais constituent la principale force d’opposition active au tsar. Or Bakounine, en tant que démocrate russe, considère qu’il y a une solidarité entre Russes et Polonais – et cela malgré des divergences sur les limites à donner à une Pologne indépendante. Il tente de rejoindre Posen (Poznań), ville sous domination prussienne mais théâtre d’un soulèvement polonais, mais il est arrêté à Berlin et retrouve les Polonais à Breslau (Wrocław) où ils tiennent un congrès qui consacre leurs divisions. Bakounine, favorable à l’unité allemande, assiste avec scepticisme à la révolution allemande, qu’il trouva trop bavarde et pas assez active en termes d’initiatives politiques concrètes. Il estime en outre que les démocrates allemands (dont son ami Arnold Ruge) devraient prendre clairement parti pour l’émancipation de la Pologne. Il est enfin inquiet des premiers signes de reflux de la révolution dans toute l’Europe (échec de l’insurrection polonaise, déroute de la colonne démocrate dans le grand-duché de Bade3, éviction des démocrates du gouvernement provisoire à Paris le 15 mai).
À Breslau, Bakounine entend parler d’un congrès slave qui doit se tenir à Prague4, avec pour ambition de constituer un équivalent pour les Slaves d’Autriche aux parlements allemand et hongrois – mais qui réunira finalement des représentants de toutes les populations slaves, qu’elles soient sous domination prussienne, autrichienne, russe ou turque. À partir de juin 1848, c’est dans le cadre du soulèvement national des peuples slaves que s’inscrivent les projets de Bakounine, lequel voit dans l’empire autrichien le point de rencontre de tout ce qu’il combat et l’incarnation de l’oppression des peuples (au sens politique, social et national du mot). De fait, l’empire autrichien est alors fragilisé : la cour a dû fuir à Innsbruck suite à un soulèvement ouvrier et démocratique à Vienne, la Hongrie s’est soulevée en vue de son indépendance – malgré l’opposition de minorités slaves présentes sur son territoire, et qui allaient jouer un rôle dans l’écrasement du mouvement – et dans la dynamique ascendante des révolutions de 1848, ce sont désormais les Tchèques qui cherchent à faire valoir leurs droits. De son côté, si l’on en croit la Confession5, Bakounine espère agir, au travers de ce congrès, en direction de la Russie.
À Prague, Bakounine découvre le rôle fédérateur que joue la germanophobie pour les différentes populations slaves et il envisage alors d’utiliser les passions nationales à des fins révolutionnaires. Dans les textes qui entourent sa participation au congrès, Bakounine explique que les peuples slaves, « arrivés les derniers dans la marche de la civilisation européenne » sont voués à aller le plus loin dans l’émancipation et à réaliser le « but final de l’humanité ». Il oppose à l’unité mécanique imposée par les États et les Empires qui enferment les Slaves, l’unité politique vitale, vivante et naturelle que doivent constituer les populations slaves et il estime que la « nouvelle politique de la race slave ne sera pas une politique d’États mais une politique de nations, une politique de peuples libres et indépendants. » Néanmoins, il souligne aussi la nécessité d’une forte unité entre les peuples slaves, alors qu’auparavant, ceux-ci ont cherché leur salut isolément, se sont lancés dans des guerres fratricides, voire ont servi d’instruments de répression contre leurs propres frères – ce qui est un écho des divisions apparues lors du congrès qui, à en croire, Bakounine, « fut, comme tous les autres congrès et assemblées politiques de l’époque, vide d’idées et absurde » et s’est « terminé dans le néant »6. On possède même, en partie rédigé par un Bakounine qui n’est pas encore anarchiste, un projet de constitution pour les peuples slaves, mêlant liberté d’organisation intérieure et forte unité quant à la politique étrangère. Ce projet a peu d’échos, et du reste une insurrection déclenchée par des étudiants et des ouvriers met fin inopinément au congrès le 12 juin 1848. Après avoir tenté d’en dissuader ses instigateurs (l’insurrection sera écrasée par les armées autrichiennes quelques jours plus tard), Bakounine y participe activement, ce qui sera l’un des motifs de sa condamnation à mort en 1851 lors de son jugement en Autriche.
III. La rédaction de l‘Appel aux Slaves
Au cours des mois qui suivent le congrès slave de Prague, Bakounine regagne l’Allemagne et, au gré des événements et des expulsions, navigue entre Dresde, Breslau et Berlin, avant de s’établir à Dessau, dans la petite principauté d’Anhalt, où il rédige son Appel aux Slaves par un patriote russe en octobre 1848. Je m’arrête sur ce texte, non seulement parce qu’il est représentatif des objectifs et des contradictions de son action pendant cette période révolutionnaire, mais aussi parce qu’il a reçu une critique détaillée par Friedrich Engels dans la Neue Rheinische Zeitung – ce qui constitue la première confrontation publique entre Bakounine et l’entourage de Marx.
Le texte est rédigé au cours d’une période particulièrement difficile pour le mouvement révolutionnaire en général et Bakounine en particulier, marquée par l’écrasement de l’insurrection de Prague, les journées de juin 1848 à Paris, l’utilisation du nationalisme slave contre les mouvements démocratiques, mais aussi le relais offert par la Nouvelle Gazette Rhénane, au début du mois de juillet, à des accusations faisant de Bakounine un espion à la solde du gouvernement russe7. Sollicité par son ami Hermann Müller-Strübing (1812-1893), Bakounine met plus d’un mois à écrire son Appel aux Slaves, qui sera finalement publié en allemand en décembre 1848 et en français (dans La Réforme) en janvier 1849. On dispose de la version initiale de l’Appel, rédigée en français (Appel aux peuples slaves par un patriote russe), ainsi que des nombreuses variantes qui l’accompagnent. Cet ensemble de textes témoigne des dilemmes affrontés par Bakounine au cours de la rédaction de ce texte, qui vise tout autant à présenter ce que l’auteur pense réellement de la situation politique à l’automne 1848 qu’à produire des effets sur cette situation. Les intentions de Bakounine apparaissent clairement dans le préambule de l’Appel : il s’agit de sommer les Slaves de choisir entre deux camps clairement identifiés, celui de la révolution et celui de la contre-révolution, entre lesquels aucune voie médiane (notamment diplomatique) n’est possible, et ainsi de transformer la cause slave en une cause révolutionnaire. En affirmant qu’il n’y a « pas de route au milieu », Bakounine prolonge le refus de la médiation externe qui caractérisait déjà l’article de 1842 « Die Reaktion in Deutschland », et de fait, il s’agit moins de repérer une opposition claire et existante entre deux camps que de parvenir à une opposition de ce type, notamment au moyen de son Appel. Dans cet écrit, comme dans les deux textes plus longs qu’il rédigera au cours de son emprisonnement (Ma Défense8 et la Confession), Bakounine affirme que la cible commune des révolutionnaires doit être la destruction de l’empire d’Autriche en tant que symbole vivant de toutes les formes d’oppression et comme représentant du principe de la domination impériale – ce qui lui permet en même temps de mettre en garde les Slaves contre toute tentation de chercher leur salut auprès d’un autre empire : la Russie9.
Toutes les versions de l’Appel comportent une description du flux et du reflux révolutionnaire. Dans le flux révolutionnaire, qui depuis février 1848, a tout emporté sur son passage, Bakounine place le congrès de Prague qu’il présente sous le jour le plus radical en mettant en avant ses propres propositions. Quant au reflux, la dissolution du congrès slave en a été l’une des premières manifestations. Ce mouvement de flux et de reflux, d’expansion et de contraction de la révolution, est identifié par le texte allemand de l’Appel à l’action de l’Esprit dans la philosophie de l’histoire de Hegel. Lorsqu’il appelle les Slaves à se laisser porter par le flux de la révolution, celle-ci est identifiée à « l’esprit nouveau, avec sa puissance dissolvante » qui « a pénétré irrévocablement dans l’humanité ». Cet esprit « creuse la société européenne jusque dans ses couches les plus profondes et les plus ténébreuses ». Le recours à Hegel vaut dès lors comme une garantie que la révolution n’est pas défaite, mais que, telle une taupe, elle est simplement retournée sous terre pour y poursuivre son travail de sape sur les fondements du monde ancien et resurgir bientôt au grand jour10. Le reflux révolutionnaire, tel qu’il est décrit dans l’Appel définitif, se manifeste dans l’instrumentalisation par la contre-révolution du problème des nationalités contre les révolutions démocratiques de Vienne et de Pest : ce sont en effet des Croates, donc des Slaves, qui ont attaqué la Hongrie au cours de l’été, et ce sont des Tchèques qui ont bombardé Prague sous les ordres de Windischgrätz en juin 1848. Dans la version publiée de l’Appel, Bakounine s’en tient à ce qu’il désigne comme la réaction nationale contre la démocratie. Or il s’agit là d’un net rétrécissement de son projet initial.
En effet, ce qui, dans la version finalement publiée en allemand de l’Appel, est principalement retranché de la version initiale, c’est la place accordée à la question sociale. Dans l’Appel aux peuples slaves, Bakounine montre comment la révolution a eu d’emblée un double enjeu – l’émancipation intérieure des peuples (la question sociale et démocratique) et leur émancipation extérieure (la question des nationalités) – et comment la réaction a tiré parti de cette division de la révolution. Dans certains cas (notamment en Pologne), elle a brisé un soulèvement national en suscitant des divisions entre différentes catégories sociales, dans d’autres (comme lors de l’écrasement de l’insurrection viennoise) elle a utilisé les haines nationales pour réprimer une révolution sociale et démocratique. Mais dans d’autres cas encore, la réaction a pu mobiliser le potentiel de division que recèlent les questions sociale et nationale : la haine commune des peuples contre l’empire d’Autriche a ainsi pu être retournée en haine des peuples d’Autriche les uns contre les autres (les Croates contre les Hongrois), et la revendication démocratique commune au prolétariat et à une partie de la bourgeoisie a pu être mise au second plan par les divisions qui ont surgi entre ces deux classes sur la question sociale (notamment en France, avec les journées de juin 1848). Plusieurs des variantes de cette première version de l’Appel vont même jusqu’à souligner le rôle intrinsèquement contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, dont « le contentement est en raison inverse de la liberté des peuples » et qui cherche par nature la protection des despotes. Pourtant, dans la version finalement publiée, toute allusion à la question sociale va disparaître : tout en étant visiblement conscient qu’un affrontement entre bourgeoisie et prolétariat est inévitable, Bakounine a décidé de ménager la première, notamment en utilisant le vocabulaire du peuple – comme le firent à la même époque la plupart des révolutionnaires, ce qui permettait de cibler une entité politique et nationale, tout en laissant dans le flou les frontières sociales de ce qu’il fallait entendre par là. C’est donc la grille de lecture même que Bakounine construit à propos des révolutions de 1848 qui devient en grande partie inintelligible à la lecture de la version publiée de l’Appel.
IV. La critique par Engels dans la Nouvelle Gazette Rhénane
Cette version est publiée en décembre 1848, une traduction française paraît dans La Réforme en janvier 1849. Elle s’attire une réponse d’Engels sous le titre « Le panslavisme démocratique », dans les n° 222 et 223 de la Neue Rheinische Zeitung datés des 15 et 16 février 1849. Après avoir affirmé : « Bakounine est notre ami », Engels s’y livre à une charge violente contre l’Appel aux Slaves. L’article de l’ami de Marx contient deux sortes de critiques. D’un côté, il dénonce les aspirations chimériques de Bakounine (qui sont aussi celles des révolutions de 1848) et souligne les obstacles que la réalité ne manquera pas d’opposer à leur réalisation – ce que Bakounine, du reste, reconnaîtra aussi dans sa Confession en 1851. Mais d’un autre côté, parmi ces obstacles figure, selon Engels, le caractère intrinsèquement contre-révolutionnaire des peuples slaves, qui leur interdit tout avenir national et ne leur permet de participer à l’histoire universelle qu’en acceptant la domination allemande (et à la rigueur hongroise). Cette seconde ligne d’arguments consiste à concevoir l’histoire universelle comme un procès de civilisation au sein duquel les Slaves font figure de population à civiliser. Dans son article, Engels ose même une comparaison avec la récente conquête de la Californie par les États-Unis au détriment du Mexique, cherchant à montrer par là que deux peuples souverains ne fraternisent pas nécessairement, à plus forte raison lorsque leur degré de civilisation diffère, et surtout que les États-Unis ont mené contre le Mexique une guerre « purement et simplement dans l’intérêt de la civilisation » dans la mesure où elle a permis d’arracher « la splendide Californie […] aux Mexicains paresseux qui ne savaient qu’en faire »11.
Il est intéressant de comparer l’article d’Engels avec celui qu’il a publié le 18 juin 1848 dans le même journal à la suite de l’écrasement de l’insurrection de Prague par les troupes autrichiennes. En effet, à cette époque, ce ne sont pas les Slaves qui sont désignés comme « les instruments essentiels des contre-révolutionnaires »12, mais les Allemands en tant que « nation qui, au cours de tout son passé, a accepté d’être un instrument d’oppression de toutes les autres ». Mieux encore, dans cet article, la nation allemande est sommée de « proclamer, en même temps que sa propre liberté, celle des peuples qu’elle a opprimés jusque-là »13. Mais en février 1849, Engels estime désormais que s’opposent terme à terme des peuples révolutionnaires, qui ont leur propre histoire et sont destinés à jouer un rôle civilisateur, qui s’identifie à l’expansion du capitalisme, et des peuples contre-révolutionnaires, qui n’ont « jamais eu leur propre histoire », dont le mode de production est précapitaliste et qui sont, pour cette raison, destinés à être civilisés. Dans l’article d’Engels, cette opposition fonde même un éloge de « la peine prise par les Allemands pour civiliser les Tchèques et les Slovènes à la tête dure, et pour introduire chez eux le commerce, l’industrie, une exploitation agricole rentable et la culture ». Le destin des peuples slaves, dont la longue soumission aux Hongrois et aux Allemands « prouve suffisamment qui était plus viable et plus énergique »14 se résume alors à l’alternative suivante : ou bien se livrer au développement du capitalisme sous l’égide de « nations révolutionnaires », ou bien servir de proie à l’expansion ottomane. Ce faisant, les Slaves apparaissent comme un équivalent national du Lumpenproletariat15.
Bien qu’il n’aitpeut-être pas eu connaissance de l’article d’Engels, certains des arguments mobilisés par ce dernier étaient suffisamment courants à l’époque pour que Bakounine leur donne une réponse, et cela dès le manuscrit de 1850, Ma Défense. Cet écrit expliquera en effet qu’en Autriche, 8 millions d’Allemands auront le plus grand mal à germaniser les 30 millions restants, dont 16 millions de Slaves, et surtout il proposera une autre alternative que celle d’Engels : ou bien les Allemands acceptent l’émancipation des peuples slaves, ou bien ceux-ci seront tentés de se tourner vers la Russie, de sorte par exemple que le « coin slave »16 que constitue la Bohème en plein cœur de la grande Allemagne pourrait se transformer en un « coin russe » bien plus inquiétant.
Pour Engels cependant, les démocrates slaves qui, comme Bakounine, prétendent rallier les Slaves d’Autriche à la révolution et les faire se tourner contre l’empire d’Autriche, sont ou bien des naïfs qui se sont fait berner (tels « une poule qui, ayant couvé des canards, s’agite avec désespoir au bord de l’étang et les voit s’échapper soudain sur un élément totalement étranger où elle ne peut les suivre »17), ou bien des nationalistes déguisés en révolutionnaires. On pourrait à loisir retourner l’argument contre Engels, mais au-delà de ces accusations, le différend entre Bakounine et Engels sur la question slave peut être considéré comme une première version du différend qui opposera, quelques années plus tard, Bakounine à ce qu’il connaît du marxisme sur la question de la nécessité en histoire. Dès 1849, Engels souligne en effet que l’histoire connaît un cours nécessaire, dans lequel « rien ne se produit sans violence et sans une brutalité implacable »18, et que la civilisation passe nécessairement par le mode de production capitaliste et la centralisation étatique, ce à quoi Bakounine ne cessera de s’opposer par la suite. Cet éloge paradoxal de la civilisation capitaliste par le communiste Engels s’inscrit alors dans la conception de l’histoire comme succession des modes de production, conception qu’on trouve dans le Manifeste communisteet selon laquelle le mode de production capitaliste doit donner naissance dialectiquement à une société communiste (en engendrant ses propres fossoyeurs – le prolétariat – et en les armant).
Il est toutefois difficile d’ignorer la teneur nationale du différend, qui est elle aussi vouée à connaître une certaine postérité dans le conflit entre Marx et Bakounine. La fin de l’article d’Engels est en effet particulièrement violente : menaçant les peuples slaves d’une « guerre des peuples révolutionnaires contre les contre-révolutionnaires »19, elle en vient à prôner la « lutte d’anéantissement » (Vernichtungskampf) et le « terrorisme sans ménagements » comme moyens de sauvegarde de la révolution et à souligner que « la haine des Russes fut et est encore, chez les Allemands, la première passion révolutionnaire »20. De son côté, sans pour autant faire de la germanophobie slave une passion révolutionnaire, Bakounine souligne qu’elle constitue leur principal ciment national. L’attachement à la centralisation politique de l’Allemagne, comme corrélat de son développement économique, est voué à demeurer une pomme de discorde entre Marx et Bakounine : en 1870, lors de la guerre franco-allemande, Marx écrira à Engels : « Les Français ont besoin d’une raclée. Si les Prussiens l’emportent, la centralisation du pouvoir d’État favorisera la centralisation de la classe ouvrière allemande. […] La suprématie allemande déplacerait le centre de gravité du mouvement ouvrier ouest-européen en le transférant en Allemagne et on n’a qu’à comparer le mouvement dans les deux pays, de 1866 à aujourd’hui [1870], pour constater que la classe ouvrière allemande est supérieure à la française, tant sur le plan théorique que sur celui de l’organisation ; la suprématie qu’elle a, sur la scène mondiale, sur la classe ouvrière française, serait en même temps la suprématie de notre théorie sur celle de Proudhon . »21 De son côté, Bakounine ne cessera de voir dans la centralisation politique de l’Allemagne opérée par Bismarck la principale menace pour le socialisme démocratique en Europe22.
IV. La lecture de Roman Rosdolsky
Je vais maintenant dire un mot du premier livre qui, au sein du marxisme, a pris en compte cette polémique et les enjeux qu’elle engage, à savoir le livre de Roman Rosdolsky, Friedrich Engels et le problème des peuples « sans histoire » (La question des nationalités dans la Révolution de 1848-1849 à la lumière de la Nouvelle Gazette Rhénane), publié pour la première fois en allemand en 1964 mais rédigé au cours des années 1940. Rosdolsky était un révolutionnaire ukrainien de Galicie, un temps membre du parti communiste mais exclu pour sa proximité avec l’opposition de gauche, qui a vécu à Vienne puis en Pologne, a survécu aux camps nazis (Auschwitz, Ravensbrück et Oranienburg) et a émigré aux États-Unis en 1947. Là-bas, dans un grand dénuement (y compris en termes de connaissance de l’état de la marxologie), il a produit une importante exégèse des œuvres de Marx et Engels. Dans son livre sur Engels et les peuples sans histoire, la polémique de ce dernier avec Bakounine est abordée à la fin (II, 7) et constitue comme l’aboutissement de l’examen critique des vues développées au sein de la Nouvelle Gazette Rhénane sur la question des peuples dits sans histoire. Rosdolsky explique qu’avant même cette polémique, Engels avait déjà affirmé que les Slaves autrichiens jouaient nécessairement un rôle contre-révolutionnaire et devaient inévitablement disparaître en tant que nationalité. Ses remarques sur la polémique avec Bakounine consistent d’abord à souligner le romantisme qui s’exprime dans l’Appel aux Slaves de Bakounine, ce qu’il y a de fantasmatique et de purement rhétorique dans sa perspective d’une fédération universelle des républiques européennes. De ce point de vue, il donne raison à la « méthode appliquée par Engels », c’est-à-dire la méthode matérialiste (ce que j’ai appelé la première série d’arguments d’Engels), sur « la pensée idéaliste de Bakounine ». Mais il insiste aussi sur le fait qu’on ne peut s’en tenir là, et qu’il faut interroger à la fois la manière dont Engels applique cette méthode et les objectifs politiques qu’il sert ce faisant. Or Engels ne cesse de jouer sur la notion de panslavisme, pour subsumer sous elle tout mouvement national dans les pays slaves et y voir la main de la Russie – ce qui aboutit finalement à faire de toute résistance à la germanisation un acte d’allégeance au tsar. D’autre part, pour Rosdolsky, ce qui est en jeu finalement, c’est le caractère paysan de l’idéologie révolutionnaire professée par Bakounine. Mais il ne manque pas de souligner combien, sur le long terme, les paroles de Bakounine prophétisant la révolution russe, qui devaient paraître totalement incongrues à Engels, démontrent la plus grande portée de sa vision historique.
Plus généralement, en dépit de son souci de trouver des excuses à Marx et Engels et de présenter une lecture équilibrée des textes de la Nouvelle Gazette Rhénane, le livre de Rosdolsky a suscité au mieux un silence gêné dans l’historiographie marxiste, voire une franche hostilité. C’est ce dont témoigne par exemple la manière dont Hal Draper dans le 5ème volume de sa Karl Marx’s Theory of Revolution rend compte de l’épisode qui nous a intéressé. Celui-ci est abordé dans un passage dirigé directement contre Bakounine (p. 64-78), puis au sein d’une longue note sur Rosdolsky (p. 189-214, et p. 202-204 pour le passage qui concerne Bakounine). Si le livre de Rosdolsky a parfois pu être vu comme comportant une dimension polémique visant à réveiller les marxistes de leur sommeil dogmatique (en soulignant exclusivement les textes d’Engels dirigés contre les Slaves et qui font songer à du chauvinisme allemand), le livre de Draper va beaucoup plus loin dans l’autre sens : il attaque en Bakounine un nationaliste völkisch et un partisan du tsar, et il le fait avec d’autant plus d’insistance p. 203 qu’il le cite moins : la Confession est ainsi qualifiée de document « ouvertement, explicitement, agressivement tsariste ». L’idée de Draper, c’est que la formule sur les peuples sans histoire et la lutte entre barbarie et civilisation n’est qu’un malheureux écart lié au hégélianisme résiduel de Marx et Engels, et qu’il faut prendre en considération l’autre aspect de l’article d’Engels, à savoir le critère qu’il fournit pour distinguer peuples révolutionnaires et non-révolutionnaires : le fait d’avoir entrepris en 1848 un mouvement révolutionnaire. Il est intéressant de noter au passage que Rosdolsky voyait lui aussi, à juste titre, la main de Hegel, mais dans la mission historique que Bakounine croit devoir assigner aux peuples slaves. Quoi qu’il en soit, dans les articles d’Engels, ce qu’il y a de problématique, c’est que les deux thèses sont liées : le signe d’appartenance à la civilisation, c’est d’avoir entrepris un mouvement révolutionnaire, sinon on reste englué dans la barbarie. Et indépendamment de la lettre de ce qui est dit, on ne peut manquer de souligner le mépris national qui transpire de la plume d’Engels pour ces ruines de peuples qui n’ont pas langue mais un patois, etc. (mais il faut aussi reconnaître que lorsqu’il parle de nationalité fantasmée, c’est à la nation panslave qu’il pense – en fait, il ne semble pas envisager du tout qu’il puisse y avoir un avenir pour les petites nations, vouées à être mangées par les grandes). Il fallait bien faire de Bakounine un raciste admirateur du tsar pour faire oublier ces sorties engelsiennes…
V. Conclusion : Bakounine après 1848 ; récapitulatif des enjeux
Revenons à Bakounine : en soulignant la solidarité entre les empires, Bakounine ne s’était pas trompé puisqu’en février 1849, les troupes russes entrent en Transylvanie pour apporter leur contribution à l’écrasement de la Hongrie. Néanmoins, sur le plan de la politique réaliste, la suite de l’itinéraire de Bakounine au cours des révolutions de 1848 va en partie donner raison à Engels. De fait, si l’Appel du révolutionnaire russe a eu un grand retentissement en occident, il n’a guère été suivi d’effets immédiats parmi les peuples slaves. Cela n’empêche pas Bakounine de continuer à préparer activement des projets d’insurrection en Bohème, de concert avec de jeunes démocrates tchèques, depuis Leipzig puis Dresde. C’est dans cette dernière ville qu’éclate une insurrection le 3 mai 1849. Bien qu’étranger à ce mouvement, Bakounine y prend une part active et croissante, à mesure que se révèle la désorganisation et l’impréparation des révolutionnaires. Une bonne partie de la célébrité ultérieure de Bakounine s’enracine dans ce moment insurrectionnel, dont il a parfois été considéré (notamment par Marx et Engels) comme l’un des leaders23. On dispose aussi du témoignage de Richard Wagner sur l’activité de Bakounine à Dresde. Après l’écrasement de l’insurrection, Bakounine est arrêté dans la nuit du 9 au 10 mai 1849. Commence alors pour lui un long parcours judiciaire et carcéral qui lui fait remonter le temps dans son parcours révolutionnaire : emprisonné puis condamné à mort en Saxe (où il rédigea un long manuscrit intitulé Ma Défense), il voit sa peine commuée en détention à perpétuité avant d’être livré à l’Autriche, qui le condamne à son tour à mort avant de le livrer au tsar, qui le fait directement emprisonner, à partir du mois de mai 1851 (c’est au cours de l’été qu’il rédige la Confession). Il restera en prison jusqu’à sa déportation en Sibérie en 1857, dont il s’évadera en 1861, rentrant alors en Europe au terme d’un long périple et cherchant à reprendre son activité révolutionnaire là où il l’avait abandonnée. Il faudra l’échec de l’insurrection polonaise de 1863 pour que Bakounine tire les ultimes leçons des révolutions de 1848 et infléchisse son projet politique dans un sens plus libertaire, renonçant à ce qu’il appellera désormais des entreprises exclusivement nationales.
On aurait toutefois tort de considérer que l’impact des révolutions de 1848 se limite à cela chez Bakounine, qui au cours de ses dernières activités se trouvera souvent en conflit avec d’anciens quarante-huitards : avec Mazzini, et bien entendu avec Marx et Engels. Dans ce dernier conflit, ce les souvenirs de 1848 resurgiront : dans un manuscrit intitulé Rapports personnels avec Marx, en 1871, Bakounine reviendra sur les accusations d’espionnage répandues contre lui dans la Neue Rheinische Zeitung, et surtout tout au long de la polémique avec Marx et son entourage, où voleront les accusations respectives de panslavisme et de pangermanisme, il ne cessera de mettre en avant le fait que ces derniers étaient des Allemands, et qu’une bonne partie de la croyance des socialistes allemands en l’action de l’État découlait de l’incapacité de la nation allemande à réaliser son unité par elle-même en 1848.
Loin d’être anecdotique, l’épisode du conflit entre Engels et Bakounine à l’occasion de la publication de l’Appel aux Slaves me semble dès lors intéressant d’un triple point de vue. Sur un plan historiographique tout d’abord, il permet de revenir sur la dimension nationale des révolutions de 1848. Sur le plan des théories de l’émancipation, il est l’occasion d’interroger la place des questions nationales par rapport aux questions sociales et politiques. Enfin, sur le plan des théories sociales et politiques, il invite à s’interroger sur la place du fait national dans les mouvements révolutionnaires du XIXe siècle. Sur ce dernier point, on ne peut manquer de souligner que les révolutionnaires de cette époque eurent à fourbir leurs armes théoriques en même temps que surgissaient les problèmes (ce qui est peut-être le cas dans tout mouvement révolutionnaire authentique). On ne saurait donc leur reprocher ni leurs chimériques espoirs, ni leurs tentations nationales, surtout lorsque ces dernières ont abouti à une vigoureuse critique du nationalisme. Ce sera le cas chez Bakounine à partir du milieu des années 1860, l’un des arguments les plus féconds qu’il mobilise contre les mouvements nationaux étant que ceux-ci, lorsqu’ils ne sont pas porteurs d’un projet de révolution sociale, ne font que substituer à une domination étrangère une domination autochtone.
1https://www.marxists.org/francais/rosdolsky/works/1948/00/rosdolsky-engels-table.htm. Je n’avais pas connaissance du contenu de ce livre lorsque j’ai écrit sur cette polémique, notamment dans La liberté des peuples. Bakounine et les révolutions de 1848, Lyon, ACL, 2009, p. 51-60.
2Expression employée dans la Confession (op. cit., p. 82) à propos du congrès slave de Prague en juin 1848.
3Menée par Heinrich Hecker et Gustav Struve, la tentative révolutionnaire du pays de Bade reçut le renfort d’une colonne d’émigrés allemands, dirigés notamment par le poète Georg Herwegh, ami de Bakounine, mais elle fut écrasée par les troupes de la fédération germanique à la fin du mois d’avril 1848.
4Sur ce congrès, voir Lawrence D. Orton, The Prague Slav Congress of 1848. New York, Columbia University Press, 1978.
5M. Bakounine, Confession, op. cit., p. 83. Toutefois, à Bruxelles, préparant un second discours en faveur d’une union révolutionnaire russo-polonaise en janvier 1848, Bakounine écrivait à l’émigré polonais Michał łempicki que son discours serait « particulièrement dirigé contre le panslavisme et [contiendrait] un appel révolutionnaire aux Russes » (H. Elsner & alii, Fragmente, op. cit., p. 265), preuve qu’il avait conscience de ce qu’à l’époque, le panslavisme était d’orientation pro-russe.
6M. Bakounine, Confession, op. cit., p. 85. Dans ce même texte, Bakounine raconta que c’était pour empêcher les divisions et la mainmise des bourgeois slaves sur un mouvement slave d’émancipation nationale qu’il envisagea à l’époque de donner à ce mouvement une allure dictatoriale.
7Ces rumeurs avaient été initialement propagées par le gouvernement russe lui-même au moment où il obtint de Paris l’expulsion de Bakounine vers la Belgique à la fin de l’année 1847. Elles eurent une certaine efficacité, notamment parmi les patriotes polonais. Malgré les protestations de Marx lorsqu’ils se rencontrèrent à Londres en 1862, Bakounine demeura toujours convaincu que ce dernier était derrière les accusations publiées par la Nouvelle Gazette Rhénane.
8Michel Bakounine, Meine Verteidigung, in Vaclav Čejchan, Bakunin v Čechách, Prague, Vojenský archiv RČS, 1928, p. 101-189 (traduction française : Ma défense, in J.-C. Angaut, La liberté des peuples, op. cit., p. 163-226).
9Voir l’attaque violente contre la Russie de Nicolas 1er dans l’Appel, in J.-C. Angaut, La liberté des peuples, op. cit., p. 125-130.
10Cette image, qu’on attribue souvent à Marx parce qu’il la reprend dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, constitue la reprise d’un détournement opéré par Hegel dans la dernière des Leçons sur l’histoire de la philosophie à partir de quelques vers de Hamlet de Shakespeare (Acte I, scène 5), Hamlet s’adressant à l’esprit de son père : « Bien travaillé, vieille taupe ! »
11Engels, « Le Panslavisme démocratique », in Marx et Engels, La Nouvelle Gazette Rhénane, vol. 3, Paris, Éditions Sociales, 1971, p. 66. À la même époque, Bakounine estimait que l’expansion des Américains du nord sur le continent s’opérait « dans l’intérêt de la civilisation, de la démocratie et du travail ». (M. Bakounine, Ma défense, op. cit., p. 176), mais sans référence directe à la guerre avec le Mexique (exemple particulièrement malheureux puisque cette guerre fut déclenchée en partie par la révolte de propriétaires d’esclaves américains contre l’abolition de la traite par le Mexique).
12Engels, « Le Panslavisme démocratique », art. cit., p. 74 (souligne par l’auteur). Engels poursuit : « Opprimés chez eux, ils furent à l’étranger partout où s’étendait l’influence slave, les oppresseurs de toutes les nations révolutionnaires. »
13Marx et Engels, La Nouvelle Gazette Rhénane, vol. 1, Paris, Éditions Sociales, 1963, p. 118-119.
14Engels, « Le Panslavisme démocratique », art. cit., p. 72.
15Ce rapprochement est suggéré par Benoît P. Hepner, Bakounine et le panslavisme révolutionnaire, Paris, Marcel Rivière, 1948, p. 279.
16Ce thème du « coin slave » est mentionné aussi bien par Engels (art. cit., p. 69) que par Bakounine (Ma Défense, op. cit., p. 219)
17Engels, art. cit., p. 81.
18Ibid., p. 73.
19Ibid., p. 62.
20Ibid., p. 79 (traduction modifiée).
21Marx à Engels, 20 juillet 1870 in Marx et Engels, Correspondance, t. XI, Paris, Éditions Sociales, p. 20 .
22Bakounine, Œuvres complètes, Paris, Champ Libre, 1974-1982, vol. VII, p. 82 : « Imaginez-vous la Prusse, l’Allemagne de Bismarck, au lieu de la France de 1793, au lieu de cette France dont nous avons tous attendu, dont nous attendons encore aujourd’hui l’initiative de la Révolution sociale ! »
23Ce rôle lui est notamment attribué par Marx et Engels dans l’un des articles pour le New York Daily Tribune, le 2 octobre 1852 : « They found an able and cool-headed commander in the Russian refugee Michael Bakunin. »