Bakounine et le cercle de Stankevitch

brownstankevichEntre 1836 et 1840, Bakounine fut membre d’un cénacle qui eut une importance particulière dans le développement des idées philosophiques en Russie. Ce cénacle est connu sous le nom de Cercle de Stankevitch, du nom de celui qui en fut le centre et l’inspirateur, avant de devenir, après sa mort en 1840 à l’âge de 27 ans, un objet de dévotion pour ses amis. On dispose sur ce cercle littéraire et philosophique d’un ouvrage de référence, celui de Edward J. Brown, Stankevich and His Moscow Circle, Stanford University Press, 1966, dont on peut lire des extraits sur Internet.

Comme on l’a rappelé dans un précédent billet, à l’époque où il participe aux activités de ce petit groupe au fonctionnement informel, qui lit pour l’essentiel de la littérature et de la philosophie allemandes, Bakounine n’est pas politisé, mais c’est le cas de tous les membres du groupe, qui ne vont mobiliser leurs lectures que pour penser les relations qu’ils entretiennent avec leur entourage, au sein du groupe et au dehors.

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Catéchisme révolutionnaire

catechismeLes éditions de L’Herne viennent de publier, dans leur collection « Carnets » le Catéchisme révolutionnaire de Bakounine.  C’est l’occasion de revenir sur ce texte, sur son contenu, sur les confusions qui l’entourent et sur les circonstances qui ont entouré sa rédaction.

L’édition du texte est accompagnée d’une brève présentation par Alexandre Lacroix, écrivain, rédacteur en chef de Philosophie magazine et directeur de la série « Carnets anticapitalistes » dans laquelle est publié le texte. Le susnommé indique que le texte est daté de 1865 et il mentionne en note qu’il « s’agit d’un texte rare, qui n’a à l’heure actuelle fait l’objet d’aucune édition autonome », avant de préciser toutefois que le « texte rare » en question a été recopié par Max Nettlau dans son monumental Michael Bakunin – Eine Biographie (Londres, 3 volumes, 1896-1900), publié ensuite dans les Cahiers socialistes libertaires (n°6-9, mars-juin 1956) et enfin présenté dans l’anthologie de Daniel Guérin Ni Dieu ni maître éditée chez Maspéro en 1970.

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Thank You, Satan!

blake-satan-and-eveOn connaît la chanson de Léo Ferré, Thank You Satan, dont le groupe Dionysos a donné il y a quelques années une version un peu plus rock and roll. Mais Ferré ne faisait lui-même que mettre en chanson un vieux thème lancé parmi les anarchistes par Proudhon et repris longuement par Bakounine: celui de Satan comme véritable héros de la liberté humaine, figure mythique à opposer à celle d’un Dieu incarnation de l’autorité théologico-politique.

J’ai analysé dans un article de la revue en ligne Astérion la manière dont Carl Schmitt avait repéré cet aspect de la pensée de Bakounine pour donner raison aux théoriciens de la contre-révolution qui voyaient dans la révolution rien moins qu’une créature du malin. Je souhaiterais ici retracer la généalogie de ce thème satanique et montrer comment il se décline chez Bakounine.

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Bakounine dans les Annales allemandes

reaktion-50En 1841, à Leipzig, Bakounine fait la connaissance d’Arnold Ruge. Bakounine, alors âgé de 27 ans, est en Allemagne depuis 1840, date à laquelle il est venu à Berlin pour y parfaire sa culture philosophique. Il prend des cours auprès d’un hégélien de droite, Karl Werder, et, aux côtés d’Engels et de Kierkegaard notamment, commence à suivre les cours de Schelling, qui vient d’être rappelé à Berlin pour y contrer l’influence hégélienne.

Quant à Arnold Ruge, il est depuis plusieurs années installé dans le paysage intellectuel allemand. Il est notamment l’éditeur d’un journal, les Deutsche Jahrbücher für Wissenschaft und Kunst (Annales allemandes pour la science et l’art), qui ont pris la suite des Hallische Jahrbücher (Annales de Halle) interdites par la censure. Les Annales allemandes sont la principale tribune du courant jeune hégélien: dedans, y ont écrit ou y écriront les frères Edgar et Bruno Bauer, Marx, Feuerbach, Ruge lui-même, qui fait cependant davantage figure de publiciste que de théoricien.

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Nouvelle publication d’inédits de Bakounine

berthier62-64René Berthier édite une nouvelle série de textes, partiellement inédits, de Bakounine. Ces textes ont été écrits entre 1862 et 1864 (soit au cours de la première période qui suit le retour en Europe occidentale du révolutionnaire russe après son évasion de Sibérie) et ils portent sur deux sujets principalement: la question slave et l’Europe du nord. Le volume qui les contient est en vente depuis le 3 février. Voici le texte de la quatrième de couverture:

Après huit années de forteresse et cinq années de relégation en Sibérie, Bakounine s’évade dans des conditions rocambolesques, traverse le Pacifique et les Etats-Unis et rejoint Londres où il rencontre Marx. Il avait été arrêté pour sa participation à la révolution de 1848 en Allemagne et en Bohême, condamné à mort par les gouvernements saxon et autrichien et remis aux Russes. Peu après son arrivée à Londres, en 1861, une insurrection éclate en Pologne et il tente de s’y rendre. Il restera sept mois en Suède. Pendant les deux années 1862-1864, il publie de nombreux textes, peu connus, sur la question de l’émancipation nationale des Slaves, mais aussi sur la politique européenne. Ses analyses sur la situation de la Suède sont étonnantes, mais aussi sur la politique intérieure anglaise. Il a été absent de la scène politique pendant douze ans.  A son arrivée à Londres, c’est encore le « quarante-huitard » qui s’exprime, mais on constate à quel point il s’adapte vite. Il n’est pas encore « anarchiste » à cette période, mais ses écrits permettent de percevoir les germes du « socialiste révolutionnaire » – c’est l’expression qu’il revendique – qu’il deviendra après son adhésion à l’Association internationale des travailleurs.

Petite particularité: ce volume est édité à la demande, et il faut le commander sur le site www.lulu.com, qui est un éditeur de e-books. Il vous en coûtera 15 euros, sans compter les frais d’envoi.  Pour ma part, j’en reparlerai lorsque je l’aurai reçu et lu (dans une dizaine de jours).

Le fils de Bakounine

le-fils-de-bakounineJe vais tout de suite vous décevoir, le roman de Sergio Atzeni (1952-1995) intitulé Le fils de Bakounine (publié en 1991 et traduit en 2000 aux éditions La fosse aux ours) ne porte pas sur Bakounine, ni d’ailleurs sur son fils. Le « Bakounine » dont il est question dans le roman, c’est Antoni Saba, cordonnier de son état, qui vit dans un petit village de mineurs en Sardaigne, Guspini. Le surnom de Bakounine lui a été donné parce qu’un soir de beuverie, il a proclamé haut et fort qu’il allait inviter Mikhail Alexandrovitch dans le village pour qu’ensemble ils aillent mettre le feu à l’église. L’anecdote est intéressante, parce qu’elle permet de prendre la mesure de l’importance qu’a pu avoir, à la fin du XIXe siècle, la figure de Bakounine en Italie. Les trois années entières (1864-1867) que passa le révolutionnaire russe dans ce pays ont en effet laissé des traces durables, et les sections italiennes de l’Internationale ont compté parmi celles qui ont le plus soutenu Bakounine au moment de son exclusion de l’AIT.

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Petit, Bakounine était-il de droite?

michail_bakunin_selfportrait-50-50Les lecteurs de ce blog ne peuvent plus l’ignorer, Bakounine n’a pas toujours été anarchiste: démocrate révolutionnaire dans les années 1840, puis partisan de l’émancipation des Slaves d’Europe centrale, il ne s’est converti au socialisme libertaire et à l’anarchisme qu’à partir de 1864 – voire plus tard si l’on considère qu’il ne se déclare lui-même anarchiste qu’à partir de 1867.

Mais tout cela laisse dans l’ombre le fait que Bakounine n’a pas nécessairement toujours été révolutionnaire, en particulier lors de sa jeunesse en Russie. On dispose à ce sujet d’un texte de 1838, publié en guise d’avant-propos à une traduction de textes de Hegel, et dans lequel Bakounine semble exprimer des positions conservatrices. C’est du moins ainsi qu’il me semblait que tous les commentateurs interprétaient ce texte, jusqu’à ce que je découvre ce qu’en disait l’excellent livre de Paul McLaughlin, Bakunin – The Philosophical Basis of His Anarchism, New York, Algora, 2002, p. 68-69, lequel s’appuie lui-même sur un article de Martine Del  Giudice,  “Bakunin’s  Preface  to  Hegel’s  Gymnasium Lectures:  The  Problem  of  Alienation and the Reconciliation with Reality”, article paru dans la revue  Canadian-American Slavic Studies, n° XVI (1982).

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On peut s’abonner à Michel Bakounine

bakunin_speaking-20Il est désormais possible de s’abonner à ce blog.

Pour cela, il suffit de renseigner l’espace « entrez votre adresse mail » dans la rubrique « restez connectés » qui se trouve à droite de cette page. Vous recevrez ainsi une notification chaque fois qu’un nouveau billet sera publié sur ce blog – ce qui vous épargnera d’avoir à vous connecter fiévreusement chaque jour, voire chaque heure, pour vérifier que rien n’a été écrit de nouveau sur votre barbu préféré.

Mesurez le sacrifice: de ce fait, vous allez vous connecter moins souvent, les statistiques de fréquentation du blog vont plonger, notre business plan va être réduit à néant, nous ne pourrons vendre cet espace à un fond de pension basé aux îles Caïmans et aller vivre sous les cocotiers avec l’argent récolté.

Vous l’aurez compris: vous pouvez vous abonner, mais vous pouvez aussi NE PAS vous abonner.

[L’image qui illustre ce billet montre Bakounine prononçant un discours au congrès de Bâle de l’Internationale en 1869]

Le parapluie de Bakounine

semprunA l’origine de ce billet, il y a la question posée par un aimable lecteur de ce blog dans un commentaire à un autre billet, et à l’origine de cette question, il y a le livre de Jorge Semprun, L’écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994 (publié en Folio en 1996). Dans ce livre, un chapitre s’intitule « Le parapluie de Bakounine » et le lecteur en question voulait que je me renseigne sur le parapluie en question : « dans quel contexte, par qui et comment est-il cité, autre que Jorge Semprun dans L’écriture ou la vie ? ».

J’avais promis de me renseigner, ce que j’ai fait en commençant par lire le livre de Semprun et en suivant les pistes qu’il indique. A la vérité, je ne suis pas arrivé à répondre à la question posée par mon lecteur – sinon qu’à ma connaissance personne n’avait mentionné ce parapluie auparavant.

Pour les amateurs qui seraient tentés de poursuivre l’enquête, je m’en vais rappeler dans quel contexte, historique et narratif, il est fait mention de ce fameux parapluie chez Semprun. Lire la suite de cette entrée »

Bakounine et Dostoïevski

Bien que contemporains, dostoevsky_1859Bakounine (1814-1876) et Dostoïevski (1821-1881) semblent s’opposer sur à peu près tout: l’un est avant tout un praticien de la révolution, l’autre un écrivain qui, avec le temps, est devenu de plus en plus inquiet devant les progrès du parti révolutionnaire en Russie. Par ailleurs, ils n’appartiennent pas aux mêmes périodes de la vie intellectuelle russe : Bakounine a été membre du cercle de Stankevitch, par lequel la philosophie allemande a pénétré en Russie, entre 1837 et 1840, alors que Dostoïevski a fait son entrée dans les salons littéraires de Moscou après la publication de son premier roman, Les pauvres gens (publié en 1846).

Trois éléments semblent toutefois devoir rapprocher les deux personnages. Tout d’abord, il a souvent été dit que Bakounine aurait inspiré à Dostoïevski le personnage de Stavroguine dans Les possédés (ou Les démons), roman écrit entre 1869 et 1871 et publié en 1872. En second lieu, entre 1857 et 1860, Bakounine et Dostoïevski ont tous deux été présents en Sibérie : sont-ils entrés en rapport, d’une manière ou d’une autre? Enfin on trouve dans la correspondance de Bakounine plusieurs mentions de Dostoïevski, et notamment un éloge des Souvenirs de la maison des morts.  Ce sont ces trois éléments qui forment la matière du présent billet. Lire la suite de cette entrée »

Comme tant de personnages intéressants, mais aussi comme l'anarchisme, dont il est considéré à raison comme l'un des fondateurs modernes, le révolutionnaire russe Michel Bakounine (1814-1876) a mauvaise réputation : apôtre de la violence, faible théoricien, radicalement extérieur au champ intellectuel européen, on ne compte plus les griefs qui lui sont adressés.
Toute une partie de ce blog consistera d'abord à corriger cette image, erronée non seulement parce qu'elle consiste à projeter sur la personne de Bakounine les fantasmes construits à propos de l'ensemble du mouvement anarchiste, mais aussi parce que Bakounine n'est pas seulement l'un des premiers théoriciens de l'anarchisme. En consacrant ce blog à Bakounine, nous entendons ainsi présenter toutes les facettes de sa pensée et de sa biographie, depuis les considérations familiales de ses premières années jusqu'aux développements théoriques anarchistes des dernières, en passant par son inscription momentanée dans la gauche hégélienne et par son panslavisme révolutionnaire. Nous nous permettrons également quelques excursus, dans la mesure où ils pourront contribuer à éclairer la biographie et la pensée de notre cher Michka ! Le tout sera fonction des envies, de l'actualité, des réactions de lecteurs, et contiendra autant que possible de la documentation sous forme d'images et de textes.
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