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L’imaginaire des libertaires aujourd’hui
ZOOP n° 20 - novembre (?) 2002

Mimmo, militant libertaire de longue date, anima la revue informations et Réflexions Libertaires de 75 à 91 (qui, contre toute attente, vient d’ailleurs de refaire surface) et est un des initiateurs de l’Atelier de Création Libertaire, maison lyonnaise (non affiliée à quelque groupe anarchiste particulier que ce soit) qui a publié une grosse quantité d’ouvrages dont nous ne manquons jamais de vanter la qualité (voir notre catalogue de distribution de lectures). Il nous livre ici un une somme de témoignages visant . à nous aider à comprendre quels sont ces hommes et ces femmes qui s’activent dans la mosaïque anarchiste et qui contribuent à la persistance de ses idéaux clés.

Son enquête se veut participative et c’est la rationalité d’acteurs et actrices libertaires, leur représentation cognitive, que Mimmo a voulu mettre à jour en leur demandant de se prêter au jeu de l’investigation. En se demandant où en est donc le mouvement libertaire, on s’aperçoit que si de nouveaux thèmes sont apparus depuis le siècle dernier, la plupart des valeurs anti-autoritaires défendues par "l’anarchisme classique" (fin du 19°s) restent très présentes dans les esprits. On regrettera qu’aucune échelle de valeur ne soit jamais élaborée et que l’entretien directif ou semi-directif ait été la base de cette recherche dont les limites sont évidentes ; s’il s’agit d’un intéressant ouvrage qui a le mérite de nous présenter en termes simples quelques anarchistes lyonnais qui ont bien voulu répondre (ce ne sont donc pas tous les libertaires d’aujourd’hui ....), on pourra déplorer qu’elle n’apporte hélas ! que peu de choses sur le plan sociologique.
Aucun des auteurs qui ont pu travaillé sur la formation des valeurs politiques n’est cité, les postulats et les conditions de la recherche sont très brièvement présentés, les dimensions, indicateurs et descriptions, tout comme une présentation des paradigmes classiques et le choix de celui dans lequel l’auteur s’inscrit - préalables à toutes investigations - sont complètement absents (normal, vu qu’il n’y en a pas) et c’est fort dommage car, pour un chercheur ou un étudiant en sciences sociales, c’est peut-être moins ce que pense les gens qui est intéressant que ce qui a fait qu’ils aient amenés à penser comme cela. Il y a donc un énorme problème de méthode ici... C’est pour cette raison que, si cet ouvrage décrit beaucoup de choses, il est profondément regrettable qu’il en explique si peu (un des travers les plus fréquents en sciences sociales) car c’est précisément ce type de recherche qu’il manque en matière de compréhension de la formation des représentations et des valeurs.
Le livre de Mimmo est donc pour moi sans surprise car je savais déjà ce que sont les libertaires de notre époque... et je ne crains pas de dire que je le trouve un peu trop compatissant à leur égard. S’il est vrai que nul ne peut nier qu’on les retrouve de moins en moins dans les milieux populaires et de plus en plus dans les classes moyennes de la société, cela aurait été bien de savoir combien de ceux qui sont interrogés se montrent dans leur quotidien en accord avec leurs idées. Car, enfin, si on est anarchiste et qu’on le clame, comment peut-on accepter de l’argent de ce très tyrannique État si fréquemment dénoncé avec lequel tout compromis parait inacceptable. C’est un exemple parmi tant d’autres qui me viennent à l’esprit car chacun pourra constater qu’un bon nombre d’anars ou de personnes de sensibilités libertaires travaillent dans le public ou ne. travaillent pas, mais ne refusent pas pour autant le RMI et/ou les aides sociales... Rares sont les entrepreneurs indépendants, si ce n’est dans le monde associatif, qui perpétuent la tradition des artisans et horlogers libertaires du jura Suisse, pour ne citer qu’eux. Et de cela, ici comme ailleurs, on ne parle jamais, si ce n’est pour dire que vu tout ce que nous prend l’État, c’est bien normal d’en récupérer un peu... Mais le sujet n’est pas là.
Ce texte s’avère donc très agréable à lire et a le mérite de démystifier un peu le ; anarchistes et de montrer que loin de l’imagerie courante, ce sont des personnes beaucoup plus pragmatiques et enthousiastes que ce que l’on veut bien le dire qui animent cette mouvance aux diverses facettes (notons au passage que toutes sont présentées, bien que pratiquement rien ne soit détaillé quand aux autonomes, si ce n’est qu’il est évidement très difficile de les cerner...). Si les motivations de l’implication politique sont bien expliquées et qu’on ne pourra pas reprocher à Mimmo de ne pas s’être intéressé à l’univers mental, aux représentations qu’ont les libertaires de la société actuelle et des enjeux des diverses luttes, il reste très dommage que sa recherche ne se soit pas appuyée sur une construction plus solide en terme de méthode. On se doute bien que les mêmes questions ont été posées à chaque personne, mais on ne sait par exemple rien de la représentativité de l’échantillon observé...
Bref, rencontrer des personnes d’un milieu qu’on connaît bien afin de s’enquérir fait précisément courir le risque d’un manque d’objectivité, quand bien même l’objet de la recherche ne se laisse pas facilement quantifier. Une analyse comparative dans le temps ou dans l’espace un peu plus poussée aurait peut-être été plus judicieuse.. il n’est pas difficile de se douter qu’entre ses origines et la période que nous vivons, l’idéal libertaire a évolué en fonction de circonstances sociales et historiques.
Faute de rigueur méthodique, on nage dans le vague et les particularismes et l’on ne parvient pas à se détacher de la littérature et de l’histoire ;faute d’explications, on doit se contenter de narrations. Il faut éviter de répondre à de telles enquêtes selon moi, sauf si elles sont faites dans un but scientifiques clairement explicité. Et il faut encore moins y participer lorsqu’elles sont faites par quelqu’un qui pensent à peu près comme vous car non seulement on est soir qu’elles ne font que rarement montre d’objectivité mais, pire encore, elles tentent un viol de nos imaginaires, ces rares espaces de libertés qui demeureront heureusement inaliénables, quoi qu’il arrive. Même si l’on peut facilement se laisser séduire par le style très romantique de Mimmo, on ne peut que profondément regretter qu’un chercheur d’aussi longue date que lui n’ait su éviter des errements épistémologiques faute de méthode (on passe sans cesse de dimensions micro-humaines . à des dimensions macro-humaines et on a droit àd’inutiles cas par cas plutôt qu’à un regard englobant, analyse qu’on aimerait plus rigoureusement détaillée).
Très franchement, je me contenterai d’inviter toutes les personnes qui veulent travailler sur les problèmes de formations des valeurs politiques à aller jeter un oeil en préalable de toutes choses sur les travaux de Eisinger (’The Conditions of Protest Behavior in american Cities"), Gramson ("Political Discourse and Collective Action" in Klandermans, Kriesi & Tarrow, "From Structure to Action : Comparing Social Movement Research across Culture"), Melucci ("L’invenzione del Presente Movimenti, Identita, Bisogni Colectivi"), l’ensemble de l’oeuvre de Hanspeter Kriesi (sur les nouveaux mouvements sociaux et le développement de valeurs et de structures d’opportunités politiques dites "alternatives") et surtout Inglehart qui fut un des pionniers en matière de recherche sur la formation des valeurs contestataires et contre-culturelles : ’The Silent Revolution. Changing Values and Political Style Among Western Politics". On ne devrait pas passer à côté des références en matière d’écrits sur les processus de gestation des idées et des comportements que nous a offert la sociologie politique des vingt dernières années lorsque l’on écrit sur le sujet.
Pour conclure sur une note positive, on appréciera que l’évident renouveau des idées libertaires que l’on observe depuis les années soixante-dix est décrit dans sa diversité, ses interrogations et ses limites et qu’il s’agit là, malgré le côté factuel de l’enquête, d’un très bon ouvrage de présentation des représentations idéologiques qu’on peut constater dans notre milieu.

FIucK