Ad una prostituta A une prostituée Gigi Damiani 1899

Gigi Damiani a vingt-trois ans lorsqu’il compose le poème Ad una prostituta « À une prostituée », dans lequel on prend déjà la mesure de la façon dont il conçoit sa poésie. Chez lui, pas de sentimentalisme ni d’émotions gratuites, pas d’amour aveugle pour le « peuple » qui ne mérite que le mépris quand il est lui-même méprisant envers ceux qui sont différents, parce qu’ils professent d’autres idées ou qu’ils ne respectent pas les règles et les convenances sociales. La prostituée à qui sont dédiés ces cinq quatrains reçoit toute son affection et son estime. Le poète rebelle fait aussi d’elle une arme sociale contre l’institution du mariage et une arme « biologique » contre l’abjecte société. On est loin du ton misérabiliste, doucereux et moraliste qu’on trouve dans certaines poésies sociales de l’époque, même chez les anarchistes.

 

 

T’amo così ne la fierezza indomita
che il trivio dona ai nati suoi infelici!
t’amo così – venduta merce – cinica
ridere in faccia a’ tuoi brutali amici.

Dica male di te poeta chierico,
ti rida in faccia il volgo sozzo e vile,
ma io, ribelle, a te levo il mio cantico,
io, ti comprendo sai: donna civile.

Che importa a me se nell’ingiuria erotica
spressi il pudore della donna onesta…
Se innanzi all’uomo calcolante impudica
atiri fino al bellico in su la vesta.

Va… va… e schernisci la donnina isterica
che si vende per sempre innanzi al prete
va… va… corri la via ed al vecchio stupido
tendi del vizio la dorata rete.

Va… seduci, incatena, strazia e nei lubrici
abbracci inietta il pus che il sangue uccide
va… succhia denaro ed offri spasimo,
al mondo che ti compra e ti deride.

GIGI

Voici une proposition de traduction, sans ambition poétique, qui ne prétend que donner au plus près le sens des vers.

Je t’aime ainsi dans la fierté indomptée
que la rue donne à tous les malheureux qui y sont nés !
je t’aime ainsi – marchandise vendue – cynique
quand tu ris au visage de tes amis brutaux.

Que le poète grand clerc te dénigre,
que le peuple crasseux et vil te rie au nez,
moi, rebelle, je t’adresse mon hymne,
je te comprends, sais-tu, dame civile.

Que m’importe à moi si dans l’injure érotique
tu méprises la pudeur de la femme honnête…
Si devant l’homme hésitant, impudique,
tu remontes ta robe jusqu’au-dessus du nombril.

Va… va… et méprise la femme hystérique
qui se vend pour toujours devant le prêtre
va… va… cours sur ton chemin et devant le vieillard stupide
étends le filet doré du vice.

Va… séduis, enchaîne, déchire et dans de lubriques
étreintes injecte le pus qui tue le sang
va… aspire l’argent et offre le spasme
au monde qui t’achète et te raille.

Une biographie littéraire de Gigi Damiani a été publiée par les soins de l’Atelier de création libertaire.

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L’histoire de l’anarchisme italien est liée, par bien des aspects, à l’histoire de l’émigration italienne. Malatesta lui-même a passé une bonne partie de son existence hors d’Italie, en Amérique du Sud et à Londres (mais aussi en Égypte et ailleurs), avant son retour rocambolesque en Italie en 1919, et il était en contact avec des militants répartis aux quatre coins du monde. Le fil conducteur choisi pour ce blog offre donc un vaste champ d’investigation. Ce sera la seule contrainte que nous nous imposerons : nos « conversations » auront toutes pour point de départ les vicissitudes des anarchistes italiens dans le monde et aborderont, au fil de l’actualité, de l’humeur, peut-être aussi des réactions et des demandes des lecteurs, des sujets variés, que nous illustrerons si possible de photographies, documents d’archives, correspondances, textes traduits de l’italien…

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