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Le statut de la philosophie chez le dernier Bakounine
Je livre ici le contenu de la communication que j’avais lue en mai 2011 lors du colloque Philosophie de l’anarchie, organisé à Lyon (ENS et Cedrats). Le texte a été publié avec les actes du colloque, dans un volume édité à l’ACL et coordonné par Daniel Colson, Mimmo Pucciarelli et moi (toutes les références utiles sur ce livre à cette adresse, avec notamment la table des matières et quelques captations vidéos du colloque). Bonne lecture (ou pas) !
Parution: les Considérations philosophiques de Bakounine
Les éditions Entremonde ont décidé de rééditer le texte de Bakounine intitulé Considérations philosophiques sur le fantôme divin, sur le monde réel et sur l’homme. Et ce n’est pas seulement parce que j’ai fait la préface de cette réédition que je vous recommande de vous la procurer, pour les fêtes ou pour autre chose. C’est aussi parce que l’éditeur n’édite que des textes de ce genre – de sorte qu’il serait d’ailleurs sans doute préférable d’acheter le livre que de le voler (je le dis d’autant plus librement que je ne touche rien dessus!) – et parce que le contenu du bouquin est diablement intéressant.
La critique du Juste-milieu
Parmi les thèmes qui courent dans toute l’œuvre écrite de Michel Bakounine, la critique du Juste-milieu est sans doute l’un des plus intéressants en ce qu’elle exprime la radicalité de cette pensée. Exposée pour la première fois en 1842 dans l’article La Réaction en Allemagne, on la trouve encore, certes transformée, trente ans plus tard, dans les derniers écrits de Bakounine.
La notion même de Juste-milieu est héritée du contexte politique de la Monarchie de Juillet – d’où la gravure de Daumier qui illustre ce billet, et qui illustre le peu d’estime qu’inspirait à l’époque le centre de l’assemblée. Le Juste-milieu, c’est l’équivalent du Marais à l’époque révolutionnaire, c’est cette partie de l’Assemblée qui, au gré des vents (car selon une formule attribuée à Edgar Faure, ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent!), va s’allier avec la droite ou avec la gauche. Ou encore, comme l’écrit Bakounine en 1842, prétendant citer un journal français au moment de la révolution de Juillet: « le côté gauche dit: 2 fois 2 font 4, le côté droit dit: 2 fois 2 font 6, et le Juste-milieu dit: 2 fois 2 font 5 » (dans le volume Bakounine jeune hégélien, Lyon, ENS Editions, 2007, p. 121).
Bakounine et le cercle de Stankevitch
Entre 1836 et 1840, Bakounine fut membre d’un cénacle qui eut une importance particulière dans le développement des idées philosophiques en Russie. Ce cénacle est connu sous le nom de Cercle de Stankevitch, du nom de celui qui en fut le centre et l’inspirateur, avant de devenir, après sa mort en 1840 à l’âge de 27 ans, un objet de dévotion pour ses amis. On dispose sur ce cercle littéraire et philosophique d’un ouvrage de référence, celui de Edward J. Brown, Stankevich and His Moscow Circle, Stanford University Press, 1966, dont on peut lire des extraits sur Internet.
Comme on l’a rappelé dans un précédent billet, à l’époque où il participe aux activités de ce petit groupe au fonctionnement informel, qui lit pour l’essentiel de la littérature et de la philosophie allemandes, Bakounine n’est pas politisé, mais c’est le cas de tous les membres du groupe, qui ne vont mobiliser leurs lectures que pour penser les relations qu’ils entretiennent avec leur entourage, au sein du groupe et au dehors.
Petit, Bakounine était-il de droite?
Les lecteurs de ce blog ne peuvent plus l’ignorer, Bakounine n’a pas toujours été anarchiste: démocrate révolutionnaire dans les années 1840, puis partisan de l’émancipation des Slaves d’Europe centrale, il ne s’est converti au socialisme libertaire et à l’anarchisme qu’à partir de 1864 – voire plus tard si l’on considère qu’il ne se déclare lui-même anarchiste qu’à partir de 1867.
Mais tout cela laisse dans l’ombre le fait que Bakounine n’a pas nécessairement toujours été révolutionnaire, en particulier lors de sa jeunesse en Russie. On dispose à ce sujet d’un texte de 1838, publié en guise d’avant-propos à une traduction de textes de Hegel, et dans lequel Bakounine semble exprimer des positions conservatrices. C’est du moins ainsi qu’il me semblait que tous les commentateurs interprétaient ce texte, jusqu’à ce que je découvre ce qu’en disait l’excellent livre de Paul McLaughlin, Bakunin – The Philosophical Basis of His Anarchism, New York, Algora, 2002, p. 68-69, lequel s’appuie lui-même sur un article de Martine Del Giudice, “Bakunin’s Preface to Hegel’s Gymnasium Lectures: The Problem of Alienation and the Reconciliation with Reality”, article paru dans la revue Canadian-American Slavic Studies, n° XVI (1982).
Bakounine et Schopenhauer
Né en 1814 et mort en 1876, Bakounine s’est confronté à presque tous les philosophes du siècle : d’abord fichtéen, puis hégélien, il a abondamment fait usage, dans sa maturité, des philosophies de Comte et de Feuerbach et a eu Marx pour meilleur ennemi. Mais qu’en est-il au juste de celui qu’on présente, peut-être à tort, comme le plus marginal de tous les philosophes du XIXe siècle, Arthur Schopenhauer ?
On trouve en tout trois références à Schopenhauer dans toute l’œuvre de Bakounine.
Une soirée chez Antigone
Dans le cadre de la tournée de propagande pour La liberté des peuples – Bakounine et les révolutions de 1848, une rencontre était organisée à Antigone, café-bibliothèque-librairie à Grenoble ce mercredi 14 octobre à 20h. Antigone, c’est une association vouée à l’agitation artistique en milieu populaire, mais c’est aussi un lieu chaleureux où l’on peut boire un verre, lire de la littérature militante, acheter des livres d’éditeurs indépendants (à dominante libertaire, mais pas exclusivement), ou… rencontrer des auteurs.
Bakounine et Machiavel
Machiavel et Bakounine partagent dans l’histoire des idées le triste sort d’être souvent mentionnés, parfois passionnément haïs mais à peu près jamais lus: lorsque Bakounine est accusé d’être le théoricien du terrorisme, l’apôtre du déchaînement de la violence, Machiavel se trouve traité en théoricien de la raison d’État, en auteur pour qui « la fin justifie les moyens ».
Que se passe-t-il dès lors quand Bakounine parle de Machiavel? Cela signifierait-il qu’il l’a lu? Répète-t-il ce que d’autres ont raconté? Quelques éléments de réponse tirés d’un passage en revue des mentions de Machiavel dans les écrits et la correspondance de Bakounine.
Quelques jugements sur Bakounine comme théoricien
Au cœur de l’été, quelques jugements définitifs sur Bakounine comme théoricien : de quoi vous dégoûter, pour le cas où vous n’auriez pas encore été effrayés…
Isaiah Berlin, Les penseurs russes, Paris, Albin Michel, 1984:
« Ce n’est pas un penseur sérieux. Il n’est ni un moraliste, ni un psychologue. Il ne faut chercher chez lui ni théorie sociale, ni doctrine politique, mais une façon de voir et un tempérament. Point d’idées cohérentes à extraire de ses écrits, en aucune de ses périodes. » (p. 152).
« Bakounine, l’ami officiel de la liberté absolue, n’a pas légué une seule idée qui mérite d’être considérée en elle-même » (p. 154).
Tchijevski, Hegel en Russie, Paris, 1939 (en russe) :
« Le nihilisme anti-philosophique de la dernière période de Bakounine n’a pas de rapport avec l’histoire de la philosophie. »
Basile Zenkovsky, Histoire de la philosophie russe, Gallimard, 1953, t. 1:
A propos de la philosophie anarchiste développée par Bakounine après 1864: « Médiocre programme d’Aufklärung » (p. 286)
Bakounine et la philosophie
Dans cette rubrique du blog, je souhaiterais m’intéresser aux rapports que Bakounine a entretenus avec la philosophie, non seulement parce que j’ai moi-même une formation de philosophe, mais aussi parce que le rapport de Bakounine à la philosophie fait partie des éléments qui sont le plus constamment minorés par les commentateurs. Je reviendrai d’ailleurs dans un prochain billet sur la mauvaise réputation de Bakounine comme théoricien.
Alors, Bakounine philosophe? Non, et lui-même a très vite cessé de nourrir la moindre ambition sur ce terrain. Mais dire cela, ce n’est pas encore régler la question de ses rapports à la philosophie. Dans les prochains billets de cette rubrique, je reviendrai sur les différents aspects de la question, à savoir: que Bakounine a reçu une formation philosophique, qu’il a rompu avec la philosophie, qu’il s’en est tenu éloigné pendant plus de 20 ans, puis qu’il a décidé de combattre aussi sur ce terrain dans la dernière période de son œuvre. Lire la suite de cette entrée »