Une soirée chez Antigone

logo-antigone2Dans le cadre de la tournée de propagande pour La liberté des peuples – Bakounine et les révolutions de 1848, une rencontre était organisée à Antigone, café-bibliothèque-librairie à Grenoble ce mercredi 14 octobre à 20h.  Antigone, c’est une association vouée à l’agitation artistique en milieu populaire, mais c’est aussi un lieu chaleureux où l’on peut boire un verre, lire de la littérature militante, acheter des livres d’éditeurs indépendants (à dominante libertaire, mais pas exclusivement), ou… rencontrer des auteurs.

Comme à Paris une dizaine de jours avant, une vingtaine de personnes étaient présentes – ce qui a eu l’air d’étonner les membres de l’association, qui s’attendaient plutôt à voir débarquer les « vieux libertaires » grenoblois. Les discussions ont porté sur une série de thématiques sur lesquelles je reviendrai sans doute à un moment ou à un autre sur ce blog.

Il y a d’abord le fait que les révolutions de 1848 et l’appréciation du potentiel révolutionnaire de la question slave sont l’occasion d’une première passe d’armes entre Bakounine et l’entourage de Marx, en particulier autour de l’article d’Engels dirigé contre ce qu’il considère comme le panslavisme démocratique de Bakounine (étant entendu que pour lui, la notion de panslavisme démocratique constitue une contradiction dans les termes). Les questions que cette dispute soulève m’amèneront à revenir sur la conception par Bakounine des rapports entre barbarie et civilisation: dans l’article d’Engels, on trouve en effet l’idée que les populations germaniques ont pris la peine de « civiliser les slaves à tête dure », et par civilisation, il ne fait guère de doute qu’Engels entend l’expansion du capitalisme industriel. Quel est alors le statut des Slaves et de leur propriété commune du sol? Ne s’agit-il que de barbares à civiliser, donc à germaniser?

Dans la mesure où je suis aussi le coupable d’un précédent livre sur le jeune Bakounine (Bakounine jeune hégélien – La philosophie et son dehors, Lyon, ENS Editions, 2007), des questions m’ont aussi été posées sur l’importance de la pensée hégélienne pour les révolutionnaires des XIXe et XXe siècles, et sur les raisons de cette importance, dans la mesure où Hegel peut difficilement être considéré comme un penseur révolutionnaire. J’y reviendrai sans doute (sur le rapport de Bakounine à Hegel, mais pas seulement). Toutefois, je pense qu’on peut déjà prendre en considération ce qu’écrit Engels au début de son Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande (1885), à savoir que la pensée hégélienne est une pensée de l’auto-mouvement du contenu historique, qui postule par conséquent que tout ce qui existe, par la logique même de son développement, doit finir par périr. Mais cela mériterait d’être développé et complété…

Enfin, des questions m’ont aussi été posées touchant à l’apport plus général que pouvait constituer la philosophie au militantisme libertaire, question ô combien délicate lorsqu’on considère que la plupart des interventions philosophiques (ou prétendues telles) dans le débat public sont en général des légitimations de l’ordre dominant, ou des modèles dominants de (non) transformation sociale. Par ailleurs, je suis pour ma part très sensible aux effets d’autorité qui sont induits par le discours philosophique et par le statut social qui est le sien, le philosophe étant en bonne place, aux côtés du psychanalyste, pour prendre la place laissée vacante par le prêtre. Cela n’empêche pas qu’on reconnaisse l’importance pour les militants d’avoir une formation théorique (qui ne se limite pas à la philosophie, mais qui ne l’exclut pas pour autant – la place de la philosophie là-dedans dépendant de son rapport aux autres sciences humaines et sociales), mais aussi l’apport que peut constituer une étude critique des discours dominants, ne serait-ce que dans leur articulation logique (la philosophie peut aussi être une pratique de l’auto-défense intellectuelle, pour reprendre la formule de Normand Baillargeon).

Pour conclure, je remercie à nouveau les amis d’Antigone pour leur chaleureux accueil, leur vin, leurs crêpes et la qualité de leur écoute et de leurs questions. Et j’espère bien qu’on aura l’occasion de se croiser à nouveau!

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Comme tant de personnages intéressants, mais aussi comme l'anarchisme, dont il est considéré à raison comme l'un des fondateurs modernes, le révolutionnaire russe Michel Bakounine (1814-1876) a mauvaise réputation : apôtre de la violence, faible théoricien, radicalement extérieur au champ intellectuel européen, on ne compte plus les griefs qui lui sont adressés.
Toute une partie de ce blog consistera d'abord à corriger cette image, erronée non seulement parce qu'elle consiste à projeter sur la personne de Bakounine les fantasmes construits à propos de l'ensemble du mouvement anarchiste, mais aussi parce que Bakounine n'est pas seulement l'un des premiers théoriciens de l'anarchisme. En consacrant ce blog à Bakounine, nous entendons ainsi présenter toutes les facettes de sa pensée et de sa biographie, depuis les considérations familiales de ses premières années jusqu'aux développements théoriques anarchistes des dernières, en passant par son inscription momentanée dans la gauche hégélienne et par son panslavisme révolutionnaire. Nous nous permettrons également quelques excursus, dans la mesure où ils pourront contribuer à éclairer la biographie et la pensée de notre cher Michka ! Le tout sera fonction des envies, de l'actualité, des réactions de lecteurs, et contiendra autant que possible de la documentation sous forme d'images et de textes.
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