L’info en continu depuis la rue
Rebellyon.info est un site lyonnais d’infos alternatives, qui est devenu en quelques années incontournable pour les luttes sociales et antiautoritaires de la région.
Durant l’automne 2010, le site a vu son rôle s’amplifier à mesure que le mouvement grandissait. Derrière les pages Internet, c’étaient des militant-te-s qui s’activaient sur le terrain et sur les claviers.
Dans cet entretien, les membres du collectif d’animation du site reviennent sur le fonctionnement de cet outil durant les semaines agitées.
Rapidement, Rebellyon, qu’est-ce c’est ?
Rebellyon est un site Internet lyonnais d’infos alternatives, participatif et collaboratif. Les infos publiées sont locales ou rédigées localement s’il s’agit d’infos (inter)nationales. Les articles sont corrigés si besoin, et éventuellement améliorés en accord avec l’auteur-e quand les délais le permettent.
- Logo Rebellyon.
- Pick
Quand et comment le site a-t-il été créé ?
Le site a vu le jour à l’automne 2004, après un temps de gestation relativement court. Les premières réus [1] ont eu lieu début septembre, une première version basique du site était en ligne début novembre.
Des réunions pour le lancement d’un Indymedia Lyon [2] avaient eu lieu au printemps de la même année, mais la tentative n’avait pas abouti. Les sites Indymedia ne ressemblaient pas à ceux d’aujourd’hui. Il y avait énormément de forums sans modération et les articles étaient publiés automatiquement sans être modérés.
A l’époque, des personnes animaient déjà de petits sites à Lyon : Agenda Lyon, AC ! Rhône [3] et le site de la librairie libertaire la Gryffe. Il y avait la volonté de créer un site qui ne soit pas une réplique d’un modèle pensé ailleurs, mais pensé en fonction de la réalité locale : un outil collectif adapté au « mouvement » lyonnais.
On s’inspirait également d’autres modèles de sites historiques que le succès d’Indymedia avait occulté, comme samizdat.net – dont HNS-Infos est l’un des successeurs – ou encore infoshop.org aux états-Unis.
Après quelques réus et l’établissement rapide de bases d’un fonctionnement collectif, on s’est jeté assez vite dans la publication notamment avec le mouvement social de début 2005, mené par des lycéen-ne-s. La maquette temporaire de l’époque restera plus de cinq ans en place.
Comment le site a-t-il fonctionné pendant le mouvement d’octobre 2010 ?
La densité et la diversité d’information que nous recevions était énorme. Nous devions les mettre en valeur et surtout faire la synthèse des bribes d’information qui nous arrivaient chaque heure depuis les manifestations, les piquets de grèves et les émeutes. Nous avons donc rapidement choisi de mettre en place des « suivis journaliers ». C’étaient des articles mis à jour très souvent, jusqu’à toutes les quinze minutes ! Le but était de tenir tout le monde au courant de l’évolution de la situation dans la rue, de la répression, d’où se situait telle ou telle manif, de comment rejoindre des gens sur le terrain, d’où il y avait besoin de coups de mains. Outre ce suivi, nous avons essayé d’organiser l’information qui nous parvenait sous forme de tracts, de textes et d’analyses dans des articles de synthèse pour que ce soit accessible rapidement.
Au niveau humain, qu’est-ce que cette gestion du site a représenté en terme d’investissement ?
Un tel suivi quotidien demandait beaucoup de monde. Tou-te-s les membres du collectif étaient impliqué-e-s dans la lutte en cours. Nous avons donc dû nous relayer, de façon à avoir toujours du monde disponible pour mettre le site à jour et pour recevoir les coups de fils des copains et copines sur le terrain. Pour nous adapter, le nombre de membre du collectif investi quotidiennement dans la vie du site a augmenté. En temps normal, seulement deux ou trois personnes, par rotation, peuvent modérer et mettre en forme l’information. Pendant le mouvement, on a peu ou prou réussi à avoir toujours quelqu’un derrière son clavier pour annoncer la présence des flics ici ou là-bas, les endroits où rejoindre du monde dans la rue.
- Place Bellecour le 19 octobre 2010.
- Fle-ur, droit réservés.
Donc vous étiez à la fois dans la rue et derrière votre ordi. Individuellement, ça donnait quoi ?
À la fin tu deviens schizophrène ! Parce qu’en pleine émeute, avant d’éviter les lacrymos ou de les renvoyer, tu te demandes d’abord qui est dispo pour relayer ce qui se passe. C’est d’autant plus vrai quand deux ou trois événements se déroulent à 300 mètres de distance les uns des autres…
Quelle a été la différence avec les précédents mouvements sociaux ?
Durant le CPE, la LRU, le mouvement lycéen en 2009, Rebellyon avait eu un rôle important, mais nous ne recevions pratiquement que de l’information déjà mise en forme. Il s’agissait surtout de tracts et de textes d’analyses. Cette fois, une part importante des infos qui nous parvenait étaient transmises oralement, au téléphone ou en direct. Il nous fallait mettre ça à disposition, ça n’a pas été facile de trouver la forme pour rendre cette info lisible.
Comment s’organisait le quotidien du site pendant le mouvement ?
Pour le suivi journalier, il s’agissait d’un vrai système de réseau : ceux qui étaient sur le terrain informaient des gens, qui informaient d’autre gens, qui écrivaient les articles de Rebellyon. Si l’information était aussi rapide c’est surtout qu’on avait confiance en nos sources et qu’il n’y avait pas besoin de vérifier.
À côté de ça, on récupérait des informations sur Twitter [4]. Ce sont des informations souvent « géotaggées [5] » avec une photo. Par exemple : « à tel endroit, à telle heure, j’ai pris telle photo de lycéen brûlant des poubelles. » On se servait aussi des autres médias locaux comme Lyon Capitale.
En ce qui concerne l’annonce des rendez-vous à venir, Rebellyon jouait un rôle-clé. Comment réussissiez-vous à vous tenir au courant ?
Pour les rendez-vous comme les manifs et les rassemblements syndicaux c’était facile de savoir. Mais pour les rassemblements lycéens beaucoup moins… surtout que de nombreux commentaires et articles informaient d’événements à des heures et des endroits parfois contradictoires. Lorsque deux ou trois sources différentes se recoupaient sur un endroit et une heure, on décidait d’afficher le rendez-vous…
Et au-delà du texte et des photos, comment ça s’est passé pour le support vidéo ?
Il y avait une grosse production vidéo de la part de tous les médias, puisque même BFM est venu filmer sur la place Bellecour. Face à leur professionnalisme et leur rapidité on ne peut pas faire grand-chose.
L’enjeu était de ne pas filmer la même chose qu’eux. Il se passait des trucs du matin au soir, c’était très fatiguant de tout filmer. En ajoutant la tension d’être dans la manif, et non pas derrière les flics, comme le font les journalistes. Il fallait en plus se taper le boulot de montage et de diffusion.
On a fait le choix de ne pas filmer la casse. Non pas pour nier son existence, mais c’était déjà trop diffusé et ça peut mettre en danger juridiquement les personnes visibles sur les vidéo. On filmait au contraire la police, qui elle aussi filmait les manifestations.
Humainement, vous étiez au taquet, et techniquement, avez-vous tenu le coup ?
La plateforme RebellyonTV qu’on utilisait [6] n’a pas été assez costaude pour supporter tout ça, car Lyon était l’épicentre médiatique, sachant qu’une vidéo à fait un « buzz » (Voir : T’es qui toi ?). Du coup tout a été hébergé sur une plateforme commerciale (Dailymotion) pour supporter les dizaines de milliers de clics !
Il y avait une énorme production de vidéo sur Youtube et Twitter, qu’on a pas vraiment bien relayée. On n’avait pas d’outil pour ça et on ne voulait pas envoyer les gens sur Youtube pour mater des vidéos où les visages ne sont pas floutés.
Avez-vous eu des retours sur le rôle du site pendant le mouvement ?
Quand les cheminot-e-s en grève se mettent à utiliser cet outil pour diffuser leurs appels ou leur besoin de soutien sur leur piquet de grève, l’utilité de l’outil est évident.
Nous avons reçu pas mal de messages d’encouragements, surtout face à la propagande des médias sur les casseurs. Des gens laissaient des commentaires pour dire qu’un média comme Rebellyon était essentiel.
Certaines personnes qui connaissaient le site depuis des années disaient qu’elles avaient eu l’impression pendant le mouvement que le site était nouveau. Parce que c’était devenu un réel outil de coordination dans un contexte complexe. Après le mouvement, on voulait faire une réunion pour avoir plus de retours : pas simplement des gratifications pour avoir fait du bon boulot, mais surtout pour savoir ce qui peut-être avait manqué ou déplu, comment on peut améliorer ça pour la prochaine fois.
Et vous l’avez organisée cette réunion ?
Oui. Le 12 février, nous avons organisé une réu, assez longuement préparée, à laquelle nous avions invité l’ensemble des orgas et collectifs antiautoritaires lyonnais, ainsi que les personnes inscrites sur différentes listes militantes ou ayant récemment participé à la publication d’articles sur le site.
Comme cette invitation est restée lettre morte (personne ou presque ne s’est déplacé), nous avons décidé de mettre en carafe le site quelques jours, pour interroger les gens sur leur dépendance à cet outil et l’investissement qu’illes peuvent y mettre. Il y avait un texte sur la page d’accueil disant que nous étions en grève, qu’on faisait un piquet de grève virtuel, et qu’on appelait les gens à se saisir de l’outil, à participer.
Comment avez-vous pris la décision de faire grève ?
C’était un coup de gueule qu’on a décidé le soir de la réunion manquée, pour transformer notre déception en quelque chose d’à la fois politique, dynamique et un peu rigolo aussi. C’était destiné aux militant-e-s et aux orgas, un coup de semonce pour leur rappeler que Rebellyon est un outil collectif, et pas juste le nôtre, qu’on a besoin de leurs retours, de leurs critiques pour avancer aussi bien que de leurs coups de main ou de leur participation rédactionnelle.
Pas sûr que tout le monde ait vraiment compris, mais pour nous ça a été important. Ça nous a montré qu’à la fois on a besoin de clarifier le fonctionnement de Rebellyon (c’était justement le but de cette réunion !) et de trouver des moyens pour construire un cercle autour du site pour pérenniser le projet, en cas de conflits internes comme d’évolutions qui ne conviendraient pas au reste du mouvement. Si on est quelques un-e-s très investi-e-s dans Rebellyon, il ne faut pas que nous confisquions, par flemmardise ou par enthousiasme, cet outil collectif, ou que le reste du mouvement nous laisse faire tout le travail.
Est-ce que le mouvement a toutefois permis de mettre en évidence des choses à améliorer, à transformer ?
Oui, c’est clair.
Une fois le site a été « commenté » par un faf [7]. Ses informations bidons ont été reportées pendant une heure. Ça nous a questionné sur la validation des informations venues de nulle part, surtout en situation de tension où tout va très vite.
Pour la vidéo, ça a été l’épreuve du feu. Ça a potentiellement remis plein de choses en questions. Ça a souligné aussi le fait qu’il faut s’en emparer et ne pas laisser ça aux médias mainstream. Pour le moment on n’a pas encore débrieffé [8] tout ça, et pas vraiment « acté » de changement mais pleins de choses sont à améliorer.
Déjà, ça nous a renforcé dans le fait de penser que l’information est stratégique, capitale, pendant un mouvement social, pour se coordonner, être informé pour agir, pour garder le moral. Et cela vaut aussi bien pour les personnes très impliquées dans la lutte, que pour celles qui ne peuvent pas être présentes en permanence, mais qui veulent participer à d’autres choses que les grands-messes syndicales. On a pu aussi se rendre compte que les témoignages sont importants. La manière dont les gens vivent la lutte, ce qu’ils et elles en perçoivent, en retiennent, ce qu’ils et elles ressentent. C’est à mi-chemin entre l’information (ce qui s’est passé) et l’opinion (ce que je pense). Ce sont des subjectivités prises dans des événements réels. On a reçu des tonnes de témoignages très touchants et il faudrait réfléchir à cette forme d’expression.
Outre les témoignages, quelles sont les formes d’expression qui émergent ?
Ce mouvement a peut-être imposé la nécessité de penser de nouvelles formes de participation à l’information, notamment les « micro-participations » : d’une part, comment relayer une toute petite information ? Par exemple, quelqu’un aperçoit un fourgon du GIPN, ou des fachos dans une rue, ou une scène de violence policière…
Et d’autre part, mettre en valeur les gens qui ne vont pas publier d’article mais relayer auprès de leurs proches les infos du site. En gros une réflexion sur ce qu’on appelle le micro-blogging [9] (oui c’est moche) pour le détacher d’une part du côté crétin et voir en quoi c’est pertinent, comment ça peut se rapprocher d’une diffusion de tracts, ou d’un chuchotement à l’oreille de ton voisin. Et de l’autre comment on peut penser une information fabriquée à plusieurs milliers en même temps, pour coller au plus près de la réalité. Les technicien-ne-s appellent ça le crowdsourcing [10].
Sur un plan plus large, quelles questions est-ce que ça soulève ?
Pour les médias alternatifs et pour l’ensemble des personnes qui veulent changer le monde, le souci, c’est l’absence de réflexion collective sur les médias, sur l’information. Comment dépasse-t-on le constat « les médias sont bourgeois » pour nous attaquer aux vrais problèmes de « mauvaise information » ou d’absence d’information ? Pour penser et agir dans notre « communauté », quelles sont les informations que nous souhaitons relayer ? Quelles méthodes peut-on éventuellement repiquer aux journalistes et lesquelles peut-on inventer ? Comment apprendre à écrire ensemble ? Comment dépasser la plateforme de publication confidentielle, pour faire de l’information une arme ? À la fois de destruction de cette société, de confrontation de réflexion, et de construction d’alternatives, avec une participation de personnes qui ne sont pas forcément d’accord avec nous sur tout ? Et comment cette information vient de la rue, pour retourner à la rue, dans le réel ?
L’enjeu, en définitive, c’est que l’information, comme bien commun pour vivre et exister ensemble (dans les luttes comme en dehors), devienne une espèce de mouvement social à part entière.
Du point de vue de Rebellyon, comment ça se traduit ?
L’enjeu du site aujourd’hui est qu’il n’appartienne pas à un collectif précis, mais qu’il soit véritablement l’outil de l’ensemble du mouvement antiautoritaire lyonnais. Le mouvement des retraites a montré l’importance « stratégique » de Rebellyon, dans une certaine mesure. Comment est-ce qu’on fait pour que l’ensemble du mouvement s’y sente à l’aise, soit en mesure de critiquer ou discuter des choix, et comment on peut aussi alléger le travail de celles et ceux qui y sont le plus investi-e-s ? C’est un problème loin d’être évident, ça nécessite confiance et compréhension, réflexion sur le projet. Mais c’est possible, et surtout nécessaire pour que le collectif ne « s’autonomise » pas du reste du mouvement.
Comment on peut faire pour participer ?
Dans l’ordre décroissant de difficulté ou d’investissement dans le collectif :
– Rencontrer le collectif d’animation pour participer à la modération, à l’amélioration du site ;
– Proposer des projets que nous n’avons pas fait, parce que nous n’en avons pas le temps ou qu’on n’a pas eu l’idée [11] ;
– S’inscrire sur le site, publier des articles, commenter les articles en proposition des autres ;
– S’organiser avec des ami-e-s pour écrire à plusieurs des articles complexes ou complets ;
– Partager des informations ou des articles en « publication rapide » (c’est-à-dire dans un formulaire sans s’être inscrit sur Rebellyon) ;
– Partager des photos sur Flickr, des vidéos sur Dailymotion ;
– Envoyer des infos par mail à l’adresse contact@rebellyon.info ;
– Retweeter sur Twitter ;
– Donner des liens vers des articles publiés sur Rebellyon dans les forums d’autres sites (forums mais aussi et surtout Progrès, LyonCap, Libé, Rue89).
[1] Réunions
[2] Les Indymedia – independant media centers – sont des sites d’informations alternatives. Organisés en réseau, ils existent dans le monde entier.
[3] Site de Agir contre le Chômage, chômeur-euses en lutte.
[4] Twitter est une plateforme dite de « microblogage » permettant aux utilisateur-rice-s d’envoyer des messages courts de manière instantanée sur Internet.
[5] Localisées géographiquement sur Internet.
[6] rebellyon.tv est un site qui publie uniquement des vidéos, sur un serveur indépendant et sécurisé.
[7] Fasciste
[8] On n’en a pas encore rediscuté.
[9] Le microblogging ou microblogage est la diffusion d’informations courtes mais instantannées via Internet.
[10] Le crowdsourcing désigne ici la production de l’information par un grand groupe de personnes simultanément.
[11] Le concert de soutien en mars à Grrrnd Zero Gerland ou la présence de Rebellyon dans ce livre.