Un soutien plus efficace sur le long terme
Lorsque la répression s’abat sur un mouvement comme ce jeudi 21 octobre, de nombreux élans de solidarité s’expriment. Beaucoup de gens ressentent la nécessité de soutenir celles et ceux qu’illes ont vu-e-s se faire arrêter sous leurs yeux. Mais soutenir efficacement les victimes de la répression demande un minimum d’organisation, de contacts et de savoirs-faire. De mouvement en mouvement, le besoin s’est fait sentir de ne pas « tout reprendre à zéro » à chaque fois. Sans compter la nécessité de soutenir aussi les personnes qui subissent la répression loin des projecteurs de l’actualité. Depuis plusieurs années, des gens s’organisent donc sur le long terme au sein de la caisse de solidarité. C’est le troisième outil en mouvement des semaines agitées. On revient donc sur le rôle de la caisse pendant ce mouvement, et tout le reste de l’année.
La caisse, en deux mots, explique-nous.
On défend les gens qui sont victimes de la répression, sans se préoccuper de savoir s’ils sont coupables ou innocents. C’est un soutien qui se veut concret, dans la pratique. Ça veut dire aller aux comparutions immédiates, savoir qui est condamné et pourquoi. On cherche aussi à entrer en contact avec les familles pour les aider à trouver un avocat compétent et organiser des défenses avec eux. On a une adresse mail, une adresse postale et un numéro de portable pour que les gens puissent nous contacter, et on tient une permanence deux fois par mois. En plus du soutien aux gens qui sont accusés, la caisse essaye de permettre aux victimes de violences policières de pouvoir aussi porter plainte contre les flics. Pour ça il faut être en mesure de trouver le bon avocat, de payer les frais de justice mais aussi de savoir quelles chances on a en fonction du dossier. Par exemple si tu t’es fait taper mais que tu n’as pas huit jours d’ITT (incapacité totale de travail), ça vaut pas la peine d’aller en justice. Ou dans le même genre, il est utile de savoir qu’une plainte contre la police sera plus facilement enregistrée dans une gendarmerie. Enfin, on suit les personnes sur le long terme, une fois qu’elles sont incarcérées, ce qui passe par des mandats pour cantiner [1] mais aussi des lettres qui permettent un soutien psychologique.
Pour faire tout ça, il faut beaucoup d’argent. La caisse est donc aussi un outil collectif pour trouver et mettre en commun cet argent, via de nombreuses pratiques, à commencer par des soirées de soutien régulières et un certain nombre de gens qui donnent par prélèvements automatiques.
Ces deux semaines, il y a eu des centaines d’arrestations à Lyon, et les comparutions immédiates se multiplient. Quel rôle a pu jouer la caisse ?
On a pris un peu la forme d’une legal team. Le mouvement est un moment où la caisse dépense de l’argent, mais aussi un moment de récolte de l’argent, pour des frais qui vont durer pendant très longtemps. Dans ces moments-là, il y a une solidarité qui dépasse les milieux habituels. Il y a eu un repas de quartier, pleins de gens sont venus et ont donné des thunes. On reçoit aussi des chèques spontanés de gens qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’investir directement, mais qui veulent soutenir ceux qui subissent la répression. Un concert de soutien, d’habitude, ça ramène un peu de gens, mais là ça prend une autre ampleur, parce que la caisse est identifiée comme un organe du mouvement. Côté récolte de thunes, les initiatives se sont vraiment multipliées : vente d’un journal de lutte, bénéfices d’une soirée dans un bar reversés à la caisse, etc. etc.
A part ça, des tracts ont été diffés avec des conseils en manifs et le numéro de la caisse. On reçoit donc beaucoup de coups de fils, surtout de gens qui racontent ce qu’ils viennent de voir dans la rue. Mais pour les gens qui se font arrêter, connaître le numéro de la caisse n’est pas le plus important sur le moment. A la limite, mieux vaut avoir directement le numéro d’un avocat dont on sait qu’il pourra nous défendre. Si on en a pas, autant prévenir ses proches avec le seul coup de fil auquel on a droit. C’est plutôt l’entourage de la personne arrêtée qui peut ensuite appeler la caisse, pour donner le nom de la personne et essayer d’organiser sa première défense afin de lui éviter la détention préventive. Si c’est quelqu’un qu’on ne connaît pas du tout qui se fait arrêter, et qu’il demande aux flics d’appeler la caisse, on sera moins efficace, il nous faudra retrouver la personne avec un avocat, ce sera plus compliqué de trouver des garanties de représentation, etc. Il vaut donc mieux que ce soit les proches qui appellent la caisse. De toute façon la caisse c’est pour limiter la casse, créer de la solidarité effective, concrète, qui s’expérimente et se vit ensemble. Ça ne va pas empêcher les gens d’avoir affaire à la répression et à la justice…
Ça fait des années que ce boulot est fait, est-ce que tu as l’impression que les conseils de base sont maintenant bien connus ?
Dans le milieu militant, oui, plutôt. Quoiqu’on a déjà été confrontés, il y a quelques années, au cas d’une personne qu’on connaissait bien, qui connaissait les conseils, et qui face à la pression policière, en garde à vue, a accepté la comparution immédiate. Elle a pris six mois, alors que si elle avait refusé la comparution, elle aurait pu prendre moins.
Après, là, particulièrement sur les dernières semaines, on a pu voir que non, les jeunes, les lycéens et les lycéennes qui étaient dans la rue connaissent très peu les conseils de base. En fait le numéro de la caisse a quand même tourné dans les lycées, et on reçoit encore des coups de fil, parfois de parents qui appellent pour demander de l’aide pour leur enfant. Ce qui est plus frustrant, c’est la diffusion des conseils en manifs. Il faut aussi prendre en compte le fait que certains conseils, même si tu les a lus plusieurs fois, une fois dans la situation, si tu ne sais pas précisément pourquoi on t’a dit de faire comme ci ou comme ça, tu ne vas pas forcément les appliquer. La comparution immédiate par exemple. Même si tu as lu sur un tract qu’il valait mieux la refuser, une fois enfermé c’est plus compliqué. Si tu ne l’as pas déjà vécu, ou si tu n’as pas vraiment discuté avec des gens de cette situation, c’est relativement rare en fait que tu la refuses. Un autre exemple, c’est le truc de crier son nom pendant l’arrestation : c’est nécessaire pour que le nom remonte jusqu’à la caisse et qu’on puisse se préoccuper de la personne. Mais souvent, les gens réagissent mal, parce que quand tu es déjà en train de te faire arrêter, le fait que des gens te demandent ton nom peut paraître hostile, donc tu ne réponds pas. Donc au final, pour les personnes qui se sont fait massivement arrêter, dont beaucoup effectivement étaient au lycée, l’enjeu n’est pas seulement qu’elles aient pu être en contact avec un tract de la caisse, mais qu’elles se soient posées ce type de question auparavant. Et manifestement, ce n’est pas toujours le cas. L’enjeu n’est donc pas seulement de faire vivre la caisse, d’y participer directement, mais aussi de diffuser partout l’espèce d’expérience collective qu’on accumule sur les stratégies politico-judiciaires et les astuces pour s’en protéger.
- Dessin
- Totaim
A Lyon il y a d’autres structures qui s’intéressent à l’action de la police et de la justice, comme la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ou le CIRDEL (Centre d’initiative et de réflexion pour la défense des libertés). Quels rapports la caisse entretient-elle avec ces structures ?
En fait on ne fait pas vraiment la même chose. C’est bien qu’il y ait une variété de structures qui se battent sur ces trucs de répression, notamment parce que des façons plus institutionnelles de lutter permettent d’avoir une autre surface médiatique, une certaine protection en quelque sorte. Après c’est compliqué parce qu’on est souvent pas d’accord, avant tout sur la question de soutenir les victimes de la répression sans chercher à trier les coupables des innocents. Souvent les structures institutionnelles veulent surtout soutenir les innocents en tant que tels. Et en même temps, c’est ce positionnement plus consensuel qui leur assure la place médiatique dont on veut parfois profiter. Donc c’est compliqué.
Après on est aussi en lien avec des caisses de solidarité dans d’autres villes, mais ces liens ne sont pas très développés non plus. C’est quand même d’abord une lutte locale, et puis là aussi on n’est pas toujours sur les mêmes bases. Avec les autres caisses de solidarité, la différence joue plutôt sur le type de répression qu’on combat, certaines voulant se limiter à la répression qui s’abat sur des moments où des personnes identifiées comme militantes, et pas sur les contrôles d’identité qui se passent mal, par exemple.
Quelles compétences avez-vous à la caisse ? Est-ce que c’est des gens qui ont fait du droit qui tiennent ça ?
Avant tout on a besoin d’énergie, et d’un compte en banque. La grosse activité c’est avant tout la thune hein ; t’as beau aider les gens, s’il n’y a pas de thune tu ne peux rien faire en justice. On a aussi un téléphone portable. Et puis un truc important c’est les contacts avec les avocats, savoir qui est prêt à défendre quel type de dossier, qui accepte l’aide juridictionnelle [2].
Parmi nous personne n’a vraiment fait des études de droit, par contre on apprend au fur et à mesure et maintenant on sait expliquer aux gens ce qu’ils risquent s’ils refusent de donner leur ADN par exemple.
Alors comment fait-on pour filer des sous ?
On peut envoyer des chèques à l’ordre de « caisse de solidarité », à envoyer à « Caisse de Solidarité, 91 rue Montesquieu, 69007 Lyon ». Il y a aussi un formulaire à remplir pour les gens qui sont motivées pour donner par virements réguliers, à télécharger sur Rebellyon.
- Affrontements avec les forces de l’odre suite à la manifestation contre le plan Fillon sur la réforme des retraites. Lyon le 21 octobre 2010. Place Bellecour et quartier de la Guillotière.
- (c) B. Gaudillère / item
Le Collectif du 21 octobre s’est constitué suite à la rétention, au contrôle et au fichage systématique des personnes se trouvant sur le pont de la Guillotière le mercredi 20 octobre au soir, et de celles qui étaient sur la place Bellecour le jeudi 21 tout l’après-midi. Il s’agit d’une initiative du CIRDEL (Centre d’initiatives et de réflexion pour la défense des libertés), qui a proposé dès les jours qui suivirent ces deux événements de réagir en organisant une réunion ouverte aux organisations et aux individu-e-s. Suite à cela, un premier appel a été publié, dans lequel une quarantaine de partis, de syndicats et d’associations se prononcent pour le rétablissement des droits démocratiques, pour le respect des libertés fondamentales, contre les pratiques discriminatoires de la police et pour l’abandon de toutes les poursuites judiciaires. Ensuite, le collectif a développé son action selon deux perspectives :
– La dénonciation des garde à vue en plein air du pont de la Guillotière et de Bellecour. Cela s’est concrétisé à travers plusieurs événements, comme la réoccupation de la place Bellecour le 20 novembre avec une exposition de photos. Puis un meeting le 24 novembre à la Bourse du travail avec les témoignages de personnes retenues et les analyses d’avocat-e-s et de magistrat-e-s.
– Le soutien direct aux personnes touchées par la répression, en parallèle de l’action de la caisse de solidarité. Outre un suivi des poursuites et des condamnations, le collectif du 21 octobre soutient le dépôt d’une plainte collective, déposée par des individu-e-s et soutenue par les organisations membres du collectif. Cette plainte, qui permet de démontrer les atteintes aux droits fondamentaux et le préjudice subi par les personnes retenues, est actuellement en cours.
Pour plus d’information sur le collectif, sa composition et ses actions : collectif21octobre.fr.
[1] Quand on est en prison, acheter de la nourriture, des journaux ou quoi que ce soit via l’administration pénitentiaire.
[2] L’aide juridictionnelle est un dispositif de l’État qui finance certains frais de justice des personnes à faibles ressources économiques. Certains avocats la refusent et demandent des indemnités plus élevées.