Relayer les luttes en direct

Au pied des pentes de la Croix-Rousse, Radio Canut est une radio associative avec une grille de programmes très ouverte et hétéroclite. Elle a une tradition de luttes et un goût prononcé pour les bricolages en direct. En octobre, elle s’est enrichie d’une émission spéciale sur le mouvement : « Passez le mot ». Les reporters de la plus rebelle des radios ramenaient régulièrement des sons des piquets de grève. Entretien avec l’émission « Passez le mot ». À vous les studios…

L’entretien a été réalisé par Collaps, avec un militant de Radio Canut dans un coin de librairie, puis retravaillé avec un autre devant un ordi. Ils se sont tous les deux investis dans l’émission « Passez le mot » pendant le mouvement, et participent plus largement à la vie de la radio. 102.2

Rapidement, Radio Canut, qu’est-ce que c’est ?
C’est une radio associative, née pirate en 1977 [1]. On peut dire que c’est la radio militante lyonnaise. C’est en quelque sorte une radio anarchiste, mais en même temps on partage une volonté de ne pas s’enfermer dans la case « radio anarchiste ». En tout cas ça n’est pas la radio d’une organisation politique quelle qu’elle soit, et il n’y a ni publicité, ni propagande électorale, ni prosélytisme religieux. Il n’y a aucun salarié, aucun permanent : toutes les tâches sont réalisées par des personnes bénévoles qui font des émissions hebdomadaires.

Et l’émission « Passez le mot », qu’est-ce que c’est ?
La première fois qu’elle a eu lieu, c’était après l’élection de Sarko en 2007, il y avait un réel manque d’infos sur le mouvement social des cheminots. Parallèlement, dans le milieu militant, il y avait une tentative de coordination des différents médias lyonnais, notamment Rebellyon et Radio Canut. L’idée, c’était de faire de l’actualité pendant un mouvement et de se servir de la radio comme outil d’organisation pour les gens en lutte, notamment de relais d’infos. D’où le nom de l’émission : « Passez le mot ». Cette émission vient renforcer les « Canut-info », qui ont lieu à 19 heures du lundi au vendredi.
« Passez le mot », c’est donc un point deux fois par jour à 13 et 19 heures, rediffusé le matin à 8 heures. On propose aux gens de nous appeler ou de passer directement au studio pour faire des comptes-rendus d’AG, annoncer les rendez-vous ultérieurs, faire des petits reportages, etc. C’est « l’ info des luttes par celles et ceux qui les font ».
Ça s’est relancé sur ce mouvement au début des piquets de grèves. Cette émission vit seulement au travers de mouvements sociaux. Et puis ce ne sont pas forcément les mêmes gens qui s’en occupent d’une fois sur l’autre, même si ça reste des gens déjà familiers de la radio. Cette émission vit aussi grâce aux personnes dans le mouvement qui se prêtent au jeu d’intervenir ponctuellement en direct pour Radio Canut ou de prendre du son sur place.

 Les Canuts
C’est le nom qu’on donne à Lyon aux ouvriers qui tissaient la soie. Exploités et miséreux, ils furent les auteurs d’une des premières révoltes ouvrières de l’Histoire. Sous le slogan « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », le 23 novembre 1831, au terme de trois jours d’émeutes, les Canuts firent reculer la garde civile et prirent l’Hôtel de ville de Lyon. Mais 30 000 soldats du Roi vinrent vite mater leur révolte. Bilan : 600 morts.
Source : rebellyon.info/21-novembre-1831-debut-de-la.html

La radio a son fonctionnement quotidien. Comment s’articulent les émissions habituelles avec les imprévus d’un mouvement comme celui-là ?
C’est au rythme du mouvement, tous les jours, ça demande pas mal d’investissement. Donc ça casse forcément le fonctionnement habituel de la radio, qui est calé sur le rythme hebdomadaire de chaque émission. En fait, jusqu’à 2007, ce genre d’initiative n’existait pas. C’est né du fait de passer du temps sur des piquets, des occupations. On sentait qu’il y avait trop peu d’infos dessus, voire des mensonges de la part des médias mainstream. C’est d’être en contact avec plein de gens, qui luttent de plein de façons différentes, qui motive cette émission deux fois par jour. On veut rendre cette densité audible.

Quelles compétences et quelles ressources vous faut-il pour faire tourner cette émission ?
À la base, il y a les locaux de la radio et la place sur la bande FM [2], qui sont l’héritage d’une histoire. Et puis il y a un boulot collectif pour entretenir ça. Les compétences personnelles, techniques, elles s’acquièrent super vite. Une formation de dix minutes permet déjà de maîtriser les tables de mixage du studio pour faire du direct. Concrètement, on a un téléphone portable collectif et une adresse mail de l’émission qui servent aux gens à envoyer leurs infos. Un large réseau informel nous tient au courant de ce qui se passe partout. On utilise aussi beaucoup le travail d’actu en direct fait par rebellyon.info [3]. On sort aussi pas mal de flyers, des tracts qu’on amène un peu partout, tant dans des rassemblements que dans des lieux, pour faire « passer le mot ».

Quels retours avez-vous sur l’impact d’une émission comme « Passez le mot » ?
C’est dur de se rendre compte. D’abord ça fait du bien aux gens qu’on va voir sur les luttes d’être dans une relation directe, avec tout de suite plus de confiance que pour les autres médias. Après on a des échos individuels de personnes qui ont écouté. En vrai, durant ces mouvements, l’auditorat augmente sur les médias alternatifs, tant sur Rebellyon que sur Radio Canut. C’est en partie grâce à la diffusion de petits flyers avec tous les contacts. « Passez le mot » alimente aussi le site « Sons en luttes », qui regroupe des reportages de plusieurs radios en France. Ça démultiplie l’impact de l’émission de la mettre sur le net.

Il y a eu des journées entières ou ça bougeait un peu partout en centre-ville. Est-ce que Radio Canut a pu servir à savoir en direct où étaient les flics, où les regroupements étaient possibles… ?
Non ! Un beau but pour les années qui viennent !


[1La légalisation des radios libres date de 1981.

[2102.2

[3Site d’information alternative